Le destin croisé de deux Présidents de la république (papier publié sur le site Atlantico)
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Nicolas Sarkozy sera-t-il le deuxième Président de la République, après Valéry Giscard d’Estaing, à ne pas être reconduit par le peuple dans ses fonctions ? François Hollande le souhaite ardemment au point de souligner, avec un malin plaisir, une troublante ressemblance entre les deux hommes.
Depuis le Général de Gaulle, les Présidents de la République n’ont été réélus qu’après une phase de cohabitation. Ce fut le cas pour François Mitterrand en 1988 et pour Jacques Chirac en 2002. Pour le Général de Gaulle, en 1965, il faut noter qu’il s’agissait de sa première élection au suffrage universel direct, celle de 1958 étant le résultat du vote des grands électeurs. Nicolas Sarkozy, tout comme VGE en 1981, devra tout à la fois défendre son bilan et vendre un projet pour les cinq prochaines années, être à la fois défenseur et attaquant. En 1988 et 2002, les Présidents sortants n’avaient pas à gérer de passif et se sont contentés d’attaquer leur adversaire qui était alors leur Premier Ministre.
Autres points communs, entre les deux hommes, ils partagent le fait d’avoir exercé le pouvoir jeune, à moins de 55 ans, mais surtout de l’avoir exercé en période de crise ; le premier et le second chocs pétroliers pour Giscard et la crise ouverte en 2008 et qui perdure depuis avec la question récurrente des dettes publiques pour Sarkozy. VGE a du gérer la montée du chômage, les déficits du commerce extérieur, la crise de la sidérurgie… Nicolas Sarkozy a été confronté à la récession la plus sévère depuis la seconde guerre mondiale, à la crise bancaire, à la crise des dettes souveraines, à la crise de l’euro… avec à la clef la nécessité d’augmenter les prélèvements et de freiner les dépenses publiques. L’un et l’autre ont dû se résoudre, avec plus de facilité pour VGE, à la rigueur.
Autre similitude, les deux Présidents partagent un goût pour les réformes. Au début de leur mandat, ils ont voulu casser les codes et apporter de la modernité. Valéry Giscard d’Estaing voulait rompre avec l’Etat RPR et s’était faire élire sur le thème « du changement dans la continuité ». Il a donné le droit de vote aux jeunes de 18 à 21 ans. Il a autorisé l’avortement et réduit le contrôle de l’Etat sur la télévision. Il a aussi dépoussiéré le cérémonial élyséen, changé la Marseillaise et supprimé le 8 mai comme jour férié. Nicolas Sarkozy se voulait le Président de la rupture avec le chiraquisme et son immobilisme. Il a réformé les universités, la carte judicaire, les collectivités territoriales, les retraites… Ces réformes tant dans les années 70 que les dernières n’ont pas été comprises dans le camp même des Présidents. Face à l’hostilité et face aux crises, la fin de mandat est marquée par le retour à un certain conformisme.
Dans l’exercice du pouvoir, ils ont aimé gouverner seuls avec leurs proches conseillers, ils ont réduit les marges de manœuvre de leurs premiers ministres respectifs au point que Jacques Chirac démissionna en 1976. A la fin de leur mandat, l’un et l’autre ont également redonné de l’espace au chef de gouvernement. Les deux Présidents ont également tenté de déplacer les frontières politiques en ouvrant leur gouvernement à des personnalités qui n’étaient pas de leurs camps, Françoise Giroud, Jean-Jacques Servan Schreiber pour VGE, Jean-Pierre Jouyet, Eric Besson, par exemple, pour Sarkozy, avec à la clef des résultats mitigés.
Ces deux Présidents partagent aussi un goût pour les médias, pour la mise en scène de leur image. Giscard a descendu à pied les Champs Elysées le jour de son investiture, s’invite chez les Français pour dîner. Nicolas Sarkozy entendait être présent tous les jours à la télévision, à la radio et en France à travers des déplacements, se montrer avec cala Bruni, exposer sa vie privée. Les médias mais ces derniers après les avoir encensés ont mis en avant le mélange des genres, la surmédiatisation, leur politique gadget ou bling bling, le goût prononcé pour le luxe et la préséance. L’un et l’autre tentent ou ont tenté de se faire plus rare, plus « présidentiel »
Mais au-delà de ce contexte partagé, de nombreuses dissemblances existent entre 1980 et 2011.
Les deux personnalités sont fort différentes. Valéry Giscard d’Estaing est un grand aristocratico-bourgeois de province aux convictions libérales et européennes bien affichées quand Nicolas Sarkozy est un politique pragmatique. L’un a réussi un parcours technocratique parfait, polytechnique, ENA, Inspecteur Général des Finances quand le second a privilégié le terrain politique du militantisme aux plus hautes responsabilités.
Autre divergence, le bilan économique, en 1980, la France a encore un taux de croissance supérieur à la moyenne européenne, des finances publiques en quasi équilibre et une dette publique inférieur à 25 % du PIB quand aujourd’hui le déficit public est supérieur à 4,5 points et la dette publique à 85 % du PIB.
Surtout, grande différence, en 1980, au mois d’octobre, Valéry Giscard d’Estaing était sûr d’être réélu face à François Mitterrand encore affaibli par la défaite des législatives de 1978. Le taux de popularité de VGE a été durant tout son mandat nettement supérieur à celui de Nicolas Sarkozy. Les Français souhaitaient en 1981 un match Giscard/Rocard et considérait François Mitterrand comme un homme du passé. Si des primaires avaient été alors organisés, nul doute que ce dernier aurait été battu. François Mitterrand s’est imposé par tactique et non par les sondages. Jusqu’au mois de février 1981, VGE fait la course nettement en tête. Même dans les dernières semaines, l’écart reste circonscrit à quelques points.
Autre point de différence, VGE a du faire face à une fronde du principal parti de sa majorité à partir de 1979. Le RPR présidé par Jacques Chirac qui a été candidat à la présidentielle de 1981 a tout entrepris pour compliquer sa réélection. A priori, Nicolas Sarkozy n’est pas confronté à une telle situation.
Autre dissemblance, la droite disposait, à la veille des élections de 1981, de tous les pouvoirs, Assemblée nationale, Sénat, départements, les députés européens. Seules les grandes villes avaient basculé à gauche en 1977. Aujourd’hui, l’UMP dispose seulement de l’Assemblée nationale et de la Présidence de la république.
Les circonstances économiques, politiques et médiatiques laissent donc à penser que le destin de Nicolas Sarkozy devrait ressembler, en tout point, à celui de VGE, devenir un jeune retraité de la Présidence de la République. Mais un homme politique ne croit pas en la fatalité ; il croit toujours que les dés lui seront favorables même à minuit moins une. Dominique Strauss-Kahn n’avait-il pas course gagnée tout comme Edouard Balladur, Jacques Delors, Raymond Barre voire Alain Poher face à Georges Pompidou. Qui aurait imaginé que le Général de Gaulle soit mis en ballotage en 1965 ? Même si François Hollande dépasse les 60 % d’intentions de vote au mois d’octobre 2011, qu’est-ce qui ou quoi empêche Nicolas Sarkozy de croire qu’il ne sera pas, le 6 mai prochain, réélu et ainsi tordre la malédiction du destin contrarié de VGE ?
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