L’Allemagne face au dilemme de l’inflation
Au mois de mai, l’inflation en Allemagne s’est rapprochée de 2,5 %. Certaines prévisions de la Bundesbank prévoient une inflation de 4 % pour la première fois en près de 30 ans. Une telle augmentation pourrait raviver, au sein de la zone euro, le débat sur la politique monétaire. En Allemagne, l’inflation reste un interdit depuis les années 1920 qui débouchèrent sur le nazisme. L’Allemagne, après la Seconde Guerre mondiale, s’est construite autour d’une monnaie forte qui s’apprécie et une faible inflation garantissant la stabilité des coûts de production.
Lors de la réunification, la Bundesbank avait opté pour un relèvement des taux pour limiter l’inflation après la décision d’Helmut Kohl de procéder à la substitution monétaire de l’ost-mark à parité avec le deutschemark et d’engager un plan de modernisation des Länder de l’Allemagne de l’Est. Au début des années 2000, juste après l’introduction de l’euro, le gouvernement de Gerhard Schröder avait appliqué une stricte politique de rigueur salariale face à la perte de compétitivité de l’économie allemande. Ces choix n’ont pas été sans incidence économique et sociale sur le reste de l’Europe. La France a ainsi connu une récession en 1993. Un ralentissement économique a été constaté après 2003. L’Allemagne et la Banque Centrale Européenne ont été également accusées d’être trop obnubilées par l’inflation au moment de la crise des dettes souveraines. Les plans d’assainissement budgétaire appliqués entre 2012 et 2016 ont pesé sur la croissance, l’euro connaissant une deuxième récession moins de cinq ans après celle de 2008/2009. Depuis une vingtaine d’années, pour plusieurs experts, l’Europe évoluerait dans un environnement déflationniste du fait des choix monétaires et budgétaires. Avec la crise sanitaire, les autorités européennes semblent hésiter sur la marche à suivre. Si la Réserve Fédérale a explicitement mis en suspens l’objectif de maîtrise de l’inflation, la Banque Centrale Européenne s’en est bien gardée. Sur le terrain de la relance, de part et d’autre de l’Atlantique, les volumes ne sont pas comparables. Le rapport est du simple au double. Le plan communautaire, qui n’en demeure pas moins une nouveauté, porte sur 750 milliards d’euros quand Joe Biden, après un plan de soutien de 1 700 milliards de dollars souhaite lancer un programme de modernisation des infrastructures de 1 900 milliards de dollars. Pour de nombreux économistes, le regain de l’inflation en Europe pourrait n’être que passager quand il serait plus fort et plus durable aux États-Unis. En Europe, et en particulier en Allemagne, l’inflation sous-jacente (calculée en excluant les produits et services à forte volatilité de prix) reste contenue autour de 1 %. La hausse des prix en Allemagne est imputable à l’augmentation des prix du pétrole, à la fin de l’allègement de la TVA et à l’augmentation de la taxe carbone. Par ailleurs, si les pénuries sur certains produits intermédiaires ont provoqué une hausse des prix, cette dernière devrait être temporaire. Ces pénuries sont liées à la désorganisation des chaînes d’approvisionnement avec la crise sanitaire et aux fortes commandes américaines. La phobie allemande de l’inflation pourrait être contreproductive et mettre en danger la cohésion de la zone euro. Du fait de sa spécialisation industrielle et de sa moindre dépendance au tourisme, l’Allemagne a mieux traversé la crise sanitaire que les États d’Europe du Sud dont la France. La récession y a été deux fois plus faible. L’Allemagne sort de la crise avec une dette publique certes en augmentation mais inférieure de 20 à 60 points de PIB par rapport à celles des pays d’Europe du Sud. Pour maintenir ses recettes d’exportation, elle a besoin que les autres États membres de la zone euro renouent avec la croissance. Une hausse des taux d’intérêt au nom de la lutte contre l’inflation risque d’amener une croissance faible voire une nouvelle récession. En 2020, Angela Merkel a marqué l’attachement de l’Allemagne à la construction européenne, en proposant avec Emmanuel Macron un plan de relance financé par un emprunt communautaire. L’affectation des crédits non pas en fonction des PIB des différents États membres mais en fonction de critères économiques et sociaux constitue un précédent qui marque la primauté des intérêts collectifs de l’Union sur ceux des États membres. Le successeur d’Angela Merkel aura la difficile tâche de confirmer ou d’infirmer ce changement de cap. En 2020, le contexte économique facilitait l’adoption d’un plan de relance ; en 2021, la situation pourrait être tout autre si l’inflation dépasse durablement les 2 %. La position de l’Allemagne face à l’inflation pourrait être un débat des prochaines élections législatives prévues à l’automne
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