La solitude des jeunes, porte d’entrée de l’exclusion

30/09/2017, classé dans

 

Internet permet d’être connecté 24 heures sur 24 mais ne rime pas obligatoirement avec socialisation. Selon une étude réalisée par le CREDOC pour le compte de la Fondation de France, 6 % des jeunes (plus de 700 000 personnes) de 15 à 30 ans vivraient dans une situation d’isolement poussé. 12 % des jeunes seraient en situation de vulnérabilité sociale en n’ayant des relations qu’avec un nombre très limité de personnes (souvent la famille). Pour apprécier le niveau de solitude, le CREDOC a pris en compte 5 réseaux de sociabilité, la famille, les amis, les voisins, les collègues ou camarades de classes, les personnes rencontrées dans le cadre des activités associatives (sport, culture). L’institut a également analysé les conséquences de la forte consommation digitale chez les jeunes.

Sur l’ensemble de la tranche d’âge 15-30 ans, les jeunes isolés ou socialement vulnérables sont plus nombreux chez les jeunes adultes (25-30 ans). Ils sont en revanche répartis de façon équilibrée entre hommes et femmes. En corrélation avec l’âge, ces jeunes isolés ou socialement vulnérables sont majoritairement autonomes : 61 % ne vivent plus chez leurs parents.

La solitude et le manque d’intérêt pour la communauté

Les jeunes socialement vulnérables ont aussi presque deux fois plus tendance à penser qu’aucune forme de participation à la vie publique n’est efficace (32 % contre 18 %) : vote, bénévolat, participation à la vie du quartier, etc. La fragilité sociale va par ailleurs de pair avec un sentiment d’inutilité : 60 % des jeunes vulnérables se sentent inutiles (contre 51 % des 15-30 ans) ; et ont l’impression que l’on fait moins appel à eux : 61 % estiment que leurs proches savent qu’ils peuvent compter sur eux (contre 75 %). Les jeunes vulnérables se jugent moins en capacité de faire face à d’éventuelles difficultés. Les jeunes les plus vulnérables socialement ont une image d’eux-mêmes dégradée. Ils sont moins souvent fiers d’eux : 33 % estiment qu’il leur arrive de se sentir fiers (contre 41 % des 15-30 ans) ; et 27 % se trouvent « bien comme ils sont » (contre 37 %). Le sentiment de bonheur est également moins présent chez ces jeunes fragilisés : 62 % se déclarent souvent heureux (vs 74 %). Le manque de confiance s’exprime aussi vis-à-vis des autres. Ils s’estiment en décalage avec les gens de leur âge : seulement 35 % d’entre eux se sentent à l’aise (vs 52 % pour les 15-30 ans). Certains font même le choix de rester seuls et se replient sur eux-mêmes : 64 % estiment que l’on n’est jamais assez méfiant (contre 52 %).

Aux origines de la solitude

Le niveau de solitude est lié en partie aux habitudes de vie durant la première partie de l’existence. Si les parents reçoivent peu d’amis, sortent peu et n’entretiennent pas de relatons particulières avec la famille, les enfants auront tendance à reproduire ce modèle. L’éclatement des familles, avec la progression du nombre de divorces et la multiplication des déménagements sont des terreaux d’isolement. Par ailleurs, les difficultés d’insertion professionnelle pour les jeunes actifs accroissent les difficultés pour se constituer des réseaux. La multiplication des CDD et de l’intérim ne permettent pas de se créer des réseaux professionnels stables. L’altérité devient de plus en plus difficile ce qui conduit à cette montée de l’isolement qui est à la fois voulue est subie.

  • Internet, facteur d’exclusion

Dans les comportements, il convient de souligner que les 15/30 ans sont moins consommateurs de téléphones que leurs aînés. Ils privilégient les texto, les messages avec des photos ou des icônes. Si Internet multiplie les possibilités de contacts, il les a déshumanisés. Les enfants jouent sur leur console vidéo en réseau sans se rencontrer physiquement. Les personnes isolées sont des consommatrices assidues d’Internet. Selon le Baromètre du numérique, les 15-30 ans passent, en moyenne, 50 heures par semaine sur écran (soit 10 heures de plus que le reste de la population). L’étude quantitative montre que les jeunes socialement vulnérables y consacrent plus de temps que l’ensemble des jeunes : 22 % passent plus de 4 heures d’affilée devant un écran tous les jours ou presque (vs 17 %). Une consommation légèrement plus élevée qui permet de parler d’addiction pour ces jeunes vulnérables, mais qui ne se traduit pas, pour autant, par une plus grande utilisation des modes collaboratifs via les sites web et les applications mobiles (échange de biens et services entre particuliers comme le covoiturage ou le bricolage) : 13 % des jeunes socialement vulnérables sont adeptes des pratiques collaboratives (contre 26 %).

  • Le travail, facteur de socialisation qui se fragilise

Dans la vie professionnelle, les actifs travaillent de plus en plus seuls. Les équipes sont moins stables que dans le passé et la parcellisation du travail de bureaux réduit le nombre de rencontres sur le lieu de travail. Si le travail demeure toujours un facteur majeur de socialisation, l’étude du CREDOC démontre qu’un travail prenant surtout au sein des grandes agglomérations peut générer une forte solitude. Certains experts considèrent que le développement du burn out est favorisé par la montée en puissance de la solitude sur les lieux de travail.

  • Le logement, un facteur d’isolement

Les jeunes isolés ou socialement vulnérables sont peu satisfaits de leurs conditions de logement : c’est le cas de 47 % d’entre eux (contre 37 % pour l’ensemble des 15-30 ans). Habitant dans des logements de petite taille situés en périphérie des centres villes et pouvant être mal équipés, les jeunes en question renoncent à inviter des proches.

  • La question de l’accès aux transports

L’isolement résulte également de l’incapacité à se déplacer facilement. L’absence de véhicules, le difficile accès aux transports publics, la question de la sécurité constituent autant de freins pour la constitution ou l’entretien de réseaux. 55 % des jeunes en situation de vulnérabilité sociale ne sont pas satisfaits de leur mode de transport contre 47 % pour l’ensemble des 15-30 ans.

  • L’échec scolaire, un vecteur de solitude

Sans surprise, les jeunes ayant été en échec scolaire, victime d’harcèlement ou n’ayant eu qu’un seul référant adulte ont une forte probabilité d’être confrontés à un problème de solitude durant leur vie adulte. La fréquence de l’isolement est plus forte chez les non-diplômés que chez les diplômés (+5 points). Elle est en outre plus subie chez les premiers.

L’isolement et la santé

Les jeunes isolés et socialement vulnérables présentent un état de santé moins bon que celui de leurs pairs. La solitude génère des états dépressifs. Par ailleurs, les personnes isolées sont plus souvent confrontées que le reste de la population à un handicap ou à une maladie chronique : + 7 points par rapport à l’ensemble des 15-30 ans. Il y a évidemment une interaction entre les maladies ou les handicaps avec la solitude.

Contrairement aux idées reçues, ces jeunes socialement vulnérables développent moins souvent des addictions à l’alcool ou au cannabis : 36 % déclarent ne jamais boire d’alcool et 85 % ne jamais fumer de cannabis (vs 23 % et 79 % des 15-30 ans). Ces consommations auraient ainsi une dimension sociale plutôt qu’un rôle de refuge face à la solitude. Le niveau de consommation plus faible des jeunes socialement vulnérables pourrait aussi s’expliquer par une situation économique plus précaire, limitant les occasions de sorties et de rencontres.

La non-acceptation relative de la solitude

Le sentiment de solitude est très mal vécu par les personnes concernées. Pour les jeunes, ne pas avoir d’amis est considéré comme une faiblesse. Pour 52 % d’entre eux, cela est jugé « honteux ». Mais, l’étude qualitative du CREDOC montre que certains jeunes assument cet isolement. Une part non négligeable des jeunes souhaitent se protéger en réduisant leurs contacts.

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