La musique toujours dans l’air du temps !
La musique a toujours eu deux versants, le premier qui repose sur le plaisir et le second axé autour de la communication. Un morceau de musique a vocation à distraire, à être agréable, à stimuler les sens. Il est aussi un moyen de communication, de propagande. Pour ces deux raisons, au départ, la musique a été utilisée par les seigneurs et par la religion. Pour les seigneurs, la musique est une source de plaisirs, de distraction. Elle permet aussi de mobiliser les combattants ou de créer du liant entre les sujets. La musique militaire est censée donner du courage aux valeureux soldats et favoriser l’émergence d’un esprit de corps autour des chansons. Les chants religieux avaient comme vocation l’apprentissage de la liturgie, et l’enseignement des préceptes religieux aux fidèles. Plaisir et communication s’entremêlent évidemment mais l’un et l’autre sont les clefs de voûte de l’essor pendant des siècles de la musique. Les Quatre Saisons de Vivaldi racontent une histoire sur le passage du temps, des saisons qui imposent leur rythme à la vie.
La musique jusqu’à la découverte de l’imprimerie avec Gutenberg circule peu. Les seigneurs paient des ménestrels qui ne sont que des serviteurs, des fonctionnaires au sens étymologique du terme. La musique religieuse est composée par les prêtes ou par des fidèles entretenus par ces derniers. Les chants retranscrits sur des manuscrits se diffusent de paroisse en paroisse. Les églises font appels également à des musiciens professionnels. Ainsi, Hildegarde au XIIIe siècle ou Vivaldi au XVIIe sont des employés de l’église. Les Bach sont ménestrels de génération en génération. En-dehors des employés des seigneurs et des ordres religieux, la musique est également jouée par des mendiants qui se déplacent de ville en ville.
La musique sort des églises et des châteaux à partir du XVIIe siècle. En 1672, à Londres sont organisés les premiers concerts payants. Ainsi, les bourgeois accèdent à l’art musicale. Le développement des concerts entraîne un début de la marchandisation de la musique. Les compositeurs doivent alors chercher leurs financements. Haendel est un des premiers à ne plus être dépendant d’un seul seigneur ou roi, non pas par volonté mais par obligation. Bach n’imaginait pas un seul instant que des personnes puissent payer pour écouter ses œuvres. A compter du XVIIIe siècle, les compositeurs et les éditeurs gagnent de l’argent sur la vente de leurs partitions. Il faudra attendre le XXe siècle pour qu’un droit économique de la musique soit réellement constitué. Le fait de jouer l’œuvre d’un compositeur ne donnait pas lieu aux versements de droits d’auteur.
Avec les concerts, l’orchestre devient un spectacle. Le nombre de musiciens augmente. Une spécialisation s’impose sur un modèle tayloriste, les violons, les cuivres, les percussions. Au début du XIXe siècle, la figure du chef d’orchestre apparaît. Louis Spohr (1784-1859) décide afin faciliter les répétitions d’orchestre, d’utiliser une baguette à partir de 1820. Avant l’apparition du chef d’orchestre, cette mission revenait au premier violon, qui donnait les tempos et qui, de temps à autre, quand l’orchestre commençait à fléchir, indiquait la mesure avec l’archet. Le recours à un véritable chef d’orchestre est lié au nombre croissant de musiciens qui compose ce dernier et au besoin de personnalisation de musique. Après Louis Spohr, Carl Maria von Weber (1786-1826) et Felix Mendelssohn (1809-1847) sont les premiers chefs à diriger les musiciens avec une baguette ou un archet face à l’orchestre et non plus aux spectateurs. Hector Berlioz (1803-1869) et Richard Wagner (1813-1883) sont les premiers compositeurs à prendre conscience de la spécificité de la tâche du chef et à se consacrer à la direction, sans être instrumentistes. Le chef devient ainsi un interprète à part entière et non plus un simple coordinateur.
L’invention du disque puis de la radio permet un changement de dimension pour la musique qui devient accessible à tout moment pour un plus grand nombre de personnes. De rare, elle devient omniprésente, des ascenseurs aux restaurants en passant par les halls d’accueil. La musique devient tout à la fois un art et un bruit de fond. La musique se segmente de plus en plus. La musique dite classique s’écoute désormais de manière silencieuse quand au XIXe siècle les concerts étaient des moments de réunion où les participants pouvaient négocier leurs affaires ou échanger.
La musique populaire a toujours existé avec une dimension plus ou moins politique. Sous Louis XV, des chanteurs de rue alimentés par la cour se répandaient en propos peu amènes sur les maîtresses du Roi (cf. le livre de Camille Pascal « la chambre des dupes »). Plus proche de nous, la peine de mort, la guerre d’Algérie ont donné lieu à des chansons dites engagées.
A partir des années 1950, la musique populaire entre dans le champ de la marchandisation. Le baby-boom et l’essor du transistor provoquent une véritable rupture. Des émissions comme « salut les copains » mettent en avant de nouvelles vedettes de la chanson. Le rock’n roll s’impose comme des hymnes pour les générations d’après-guerre. Les disques se vendent par millions faisant la fortune des majors, des producteurs et parfois des musiciens. Les Beatles et les Rolling Stones sont les têtes de proue de cette révolution musicale qui annonce la mondialisation. La sortie des morceaux s’effectue désormais pour les grands groupes essentiellement anglo-saxons à l’échelle internationale. Le triomphe de la langue anglaise au niveau musical relaie la puissance économique des Etats-Unis même si, dans les faits, de nombreux musiciens sont britanniques. Néanmoins, leurs influences sont avant tout américaines. La musique populaire contemporaine promeut un idéal de vie en phase avec l’émergence de la société de consommation et des loisirs, une société de liberté. Les valeurs bourgeoises s’imposent à toutes les catégories sociales. Si au départ, les anciennes générations ont été effrayées par les comportements libertaires des groupes et par le caractère atonal de leur musique, par effet noria, un consensus musical s’est construit. Il a atteint son paroxysme dans les années 2000 durant lesquelles trois générations pouvaient assister à un concert des Rolling Stones. La musique traduit, en règle générale, l’état d’esprit des sociétés. Ainsi, depuis une dizaine d’années, la montée en puissance du rap marque la fin du monde post 1968. Cette musique issue des banlieues, des minorités ethniques, tend à s’opposer à la musique blanche, des bourgeois. Une segmentation musicale se reforme non pas autour de la musique classique et musique populaire mais au sein de cette dernière. Le rap s’oppose à la techno, à la Soul au RnB, à l’afro, etc. Le communautarisme qui touche les sociétés modernes se manifeste clairement sur le plan musical. Le fait que le rap arrive en tête chez les moins de 25 ans marque aussi le retour du conflit des générations.
La musique depuis quarante ans vit une autre révolution, celle de sa digitalisation. Cette activité a été une des premières concernées avec la photo par le processus de numérisation, à travers l’apparition du CD (1982) et des fichiers MP3 (1992). La possibilité de s’échanger par Internet des fichiers musicaux de manière instantanée et gratuite a modifié l’ensemble de l’industrie musicale. Les cassettes électromagnétiques permettaient la réalisation de copies mais le processus était long et la qualité médiocre. Avec le transfert de fichiers, ces défauts disparaissent. En vingt ans, la vente de disques est divisée par deux. Avec la multiplication des transferts, les droits d’auteur fondent. La réalisation de disques n’est plus une source de revenus. Les concerts, ravalés en simples évènements de promotion des disques redeviennent des sources de rémunération majeures. Une industrie des concerts se met en place représentée notamment par Live Nation. Les tournées des grands groupes de rock ou de RnB génèrent des recettes de plusieurs centaines de millions de dollars en s’appuyant sur les ventes de place, le merchandising, les sponsors et les subventions des collectivités locales qui accueillent les concerts.
La numérisation de la musique va de pair avec une consommation de plus en plus individuelle. Le premier walkman est commercialisé par Sony en 1979 permettant à tous d’écouter de la musique où il veut et sans déranger ses voisins ou presque. L’invention du smartphone dans les années 1990 et surtout du IPhone d’Apple en 2007 permet d’associer téléphonie et musique. La large diffusion des smartphones débouche sur le streaming, permettant aux abonnés d’écouter en ligne un nombre très important de morceaux sans avoir à les télécharger. Le streaming assure de nouvelles ressources à l’industrie de la musique. Plus de 85 % des 13-15 ans écoutent, en France, de la musique en streaming. Le chiffre d’affaires reste néanmoins encore modeste par rapport aux recettes qui étaient autre fois retirées de la vente des disques, 300 millions d’euros en 2019 contre 1,5 milliards d’euros en 2007. Néanmoins, le streaming pèse autant que la vente de CD en 2019.
La crise sanitaire empêche a priori provisoirement la tenue des concerts et favorise l’essor du streaming. Une évolution en cours pourrait modifier en profondeur l’écoute de la musique dans les prochaines années. Les jeunes générations la consomment de plus en plus dans le cadre des jeux vidéo. Les réseaux sociaux sont devenus incontournables pour la diffusion de la musique. Ils ont remplacé les revues, les disquaires, les radios et la télévisions. De plus en plus de musiciens se passent des labels officiels en diffusant leurs œuvres via YouTube ou Tik Tok. L’abaissement des coûts de production et de diffusion provoque une démocratisation. La musique pop ou rock des années 1960/1980 émanait essentiellement des enfants issus des classes moyennes. Depuis une dizaine d’années, elle est de plus en plus l’expression de minorités et de personnes issues des classes populaires. En France, la segmentation sociale a toujours été moins forte qu’au Royaume-Uni. La musique a toujours été un vecteur d’ascension sociale dans l’hexagone.
La musique depuis ses origines jusqu’à maintenant épouse les modes, les tendances de fonds. Elle est un révélateur des problèmes économiques, sociaux et sociétaux. Elle a toujours été à la pointe des techniques, de la fabrication des instruments jusqu’à sa diffusion. Cette activité qui associe loisirs, plaisirs mais aussi politique demeure un parfait miroir de nos sociétés.
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