La marche vers le toit du Monde de l’Empire du milieu
Le Japon à la fin des années 1980 s’est imaginé première puissance économique mondiale mais la langueur qui s’y est depuis installée a mis un terme à ce rêve. La Chine devrait réussir, en revanche, à détrôner les États-Unis et à retrouver le rang qui était le sien avant 1750. Elle dispose de l’avantage du nombre, 1,4 milliard d’habitants, d’une marge de progression économique et d’une envie, ce qui compte en la matière. Elle n’est pas à l’abri de devoir affronter la malédiction des numéros 2 rêvant de dépasser le maître. Son déclin démographique, ses problèmes d’environnement, sa dépendance énergétique, sa faible transparence financière ainsi qu’un système politique peu démocratique et vertical constituent des failles pour atteindre le nirvana.
Pour le moment, l’Empire du Milieu exploite au mieux ses avantages voire ses défauts supposés. Le caractère centralisé et le régime autoritaire sont jugés par les officiels chinois bien plus performants en termes de gestion publique que les démocraties jugées, selon eux, en proie au populisme et à l’inaction. La crise de 2008 a été considérée à Pékin comme la fin de l’infaillibilité occidentale. L’appel au G20 pour juguler une crise financière née outre-Atlantique a montré aux pays asiatiques que les pays avancés étaient fragiles, leur modèle étant jugé à bout de souffle.
Le projet des autorités chinoises est clair : être premier au rang mondial en 2049 pour les 100 ans de la Chine populaire. À cette fin, le pays devra disposer d’une maitrise des nouvelles technologies, des énergies et des routes de transports (maritimes, routières, ferroviaires, aéronautiques, espace et numériques).
À travers les différents projets engagés (nouvelle route de la soie, banque asiatique d’investissement pour les infrastructures, conquête de l’espace, recherche technologique, etc.), la Chine entend prendre position sur tous les créneaux porteurs. Elle se place en concurrence directe avec les États-Unis. Face à ce défi, l’administration américaine conduite par Donald Trump veut empêcher ce pays de rattraper le niveau technologique des États-Unis. À cette fin, elle essaie de limiter les exportations de biens technologiques américaines, de lutter juridiquement contre le développement international des entreprises technologiques chinoises. Elle multiplie les attaques sur le non-respect par la Chine de la propriété intellectuelle.
Même si en termes de pouvoir d’achat par habitant, les États-Unis disposent d’une marge de manœuvre importante, l’écart tend à se réduire. Il a été divisé par deux en vingt ans. Certes, les Américains restent en parité d’achat plus de deux fois plus riches que les Chinois, mais en 1995, ce ratio était de près de quatre. Les Chinois bénéficient d’un atout avec le poids de leur population, 1,4 milliard de personnes., Cependant, elle est amenée à plafonner à ce niveau dans les prochaines décennies quand celle des États-Unis continuera à progresser pour atteindre 400 millions en 2040.
La croissance chinoise, même si elle se ralentit, restera supérieure à celle des États-Unis grâce à l’effort d’éducation consenti et à la montée en gamme de la production. La croissance de la productivité par tête est deux fois supérieure en Chine à celle des États-Unis. Les investissements chinois dans les nouvelles technologies augmentent de plus de 15 à 20 % par an. Le nombre de diplômés de l’enseignement supérieur au sein de la population âgée de 25 à 34 ans, est passé de 7 à 18 % en Chine entre 1995 et 2018. Aux États-Unis, au sein de la même période, la part des diplômés est passée de 36 à 48 %. En 1995, les dépenses de R&D en Chine représentaient 0,57 % du PIB contre 2,40 % aux États-Unis. En 2016, les ratios respectifs sont de 2,11 et 2,76 %
Pour financer son développement, la Chine peut compter sur un niveau élevé d’épargne et sur ses excédents commerciaux. Le taux d’épargne national en Chine est de 45 % du PIB contre 18 % aux États-Unis. Le montant du capital par emploi connaît une croissance exponentielle en Chine, multiplié par dix en un quart de siècle quand il est resté stable aux États-Unis.
Même si sa démographie est défaillante, même si les questions de pollution risquent de se poser avec de plus en plus d’acuité, la Chine, par l’inertie et par la volonté de ses dirigeants, devrait être au premier rang avant le milieu du siècle. Cette marche en avant pourrait être remise en cause par des évènements sociaux ou politiques. Jusqu’à maintenant, il était admis que la réussite économique passait tout à la fois par l’économie de marché et la démocratie. Si la Chine s’est convertie au marché, il en est tout autrement pour le pluralisme politique. Si les autorités chinoises récusent toute ingérence dans les affaires internes des États étrangers, en revanche, elles demandent que leurs intérêts soient respectés et défendus en contrepartie du soutien économique qu’elles peuvent apporter. Cette situation peut trouver un écho favorable dans certains pays non démocratiques dont les gouvernements récusent le langage éthique des occidentaux. Plusieurs gouvernements d’États africains ou d’Europe orientale jugent que l’implication au sein de leur économie de capitaux chinois constitue un réel risque de perte d’indépendance tant économique que politique.
Du fait du poids économique de la Chine qui pourrait être sans équivalent dans l’histoire contemporaine, des tensions avec les autres grandes puissances économiques risquent de se multiplier, en particulier en ce qui concerne l’accès aux matières premières et à l’énergie.
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