La « Groko » en état de marche !
Après de longs mois de négociation, l’Allemagne s’est dotée d’un nouveau gouvernement. Pour la 4e fois dans son histoire, le pays est dirigé par une grande coalition constituée de la CDU, de la CSU et du SPD. Angela Merkel a gouverné plus longtemps dans le cadre de ce type de coalition associant la droite et la gauche qu’avec l’allié, autrefois habituel, qu’était le FDP. Pour mémoire, la première coalition dirigée par le Chancelier Kurt Kiesinger avait dirigé le pays entre décembre 1966 et 21 octobre 1969. La deuxième eu lieu entre novembre 2005 et octobre 2009, la troisième entre décembre 2013 et mars 2018. En tout et pour tout, depuis 2005, l’Allemagne a connu ce type de majorité durant plus de neuf ans. Du fait du recul historique des deux partis piliers de la vie politique allemande depuis 1949, l’élaboration du contrat de coalition a été très difficile. Le SPD qui s’était, dans un premier temps, refusé à participer à un nouveau gouvernement avec la CDU/CSU s’y est résolu pour écarter l’hypothèse de nouvelles élections. Pour éviter de constituer un gouvernement sans majorité et donc fragile, Angela Merkel a réalisé de nombreuses concessions tant au niveau des postes ministériels laissés au SPD que celui des engagements à réaliser durant le mandat.
Dans le programme du nouveau gouvernement, l’Europe tient une place importante. Il y est indiqué que l’Allemagne souhaite, en étroite coopération avec la France, renforcer l’Union européenne et ses institutions pour augmenter sa capacité de résistance face aux crises. Les positions de Donald Trump tant en matière économique que militaire ont convaincu la Chancelière sur le bienfondé de la carte européenne.
L’accord de gouvernement souligne néanmoins que le pacte de stabilité et de croissance demeure un des piliers incontournables de la politique économique de l’Europe. Il rappelle que les États membres conservent la pleine responsabilité des conséquences de leurs décisions budgétaires nationales. Les socio-démocrates et les démocrates-chrétiens ne veulent en aucun cas un infléchissement de la rigueur même si son expression verbale pourrait être moins dure qu’au temps de Wolfgang Schäuble.
Ainsi, Berlin est favorable à une transformation du mécanisme européen de stabilité en un fonds monétaire européen mais ce dernier ne devrait pas aboutir à un dessaisissement des parlements nationaux. Le nouveau gouvernement soutient aussi la réalisation de l’union bancaire, à la condition préalable que les banques européennes réduisent les risques portés à leur bilan. Les banques italiennes et espagnoles sont visées par ce souhait.
Au niveau des engagements nationaux, une augmentation des investissements est prévue avec notamment le déploiement du réseau 5G dont le coût est évalué à plus de 15 milliards d’euros. Pour limiter la hausse des loyers au sein des grandes agglomérations, la construction de logements devrait être rapidement accélérée.
À la demande des socio-démocrates, des mesures devraient être adoptées en faveur des retraités. Le montant du minimum vieillesse (Grundsicherung) sera relevé de 10 %. Par ailleurs, le taux de remplacement du salaire restera fixé à 48 % et le taux de cotisation sera plafonné à 20 % du salaire brut. Le montant de la pension pour les personnes ayant élevé des enfants, la “Mütterrente”, devrait être augmenté. Près de 11 milliards d’euros supplémentaires seront ainsi consacrés aux retraités. L’accord comporte plusieurs mesures en faveur de la politique familiale. Les allocations familiales seront prochainement augmentées. L’offre de crèches et d’écoles ouvertes toute la journée devrait être accrue. L’objectif est de faciliter l’augmentation du taux d’emploi et de lutter contre la pénurie de main-d’œuvre.
Le programme de la grande coalition n’aurait qu’un faible effet sur la croissance. Un gain évalué entre 0,2 et 0,3 point de PIB est attendu en 2018 et 2019. Le secteur du bâtiment serait le grand bénéficiaire des nouvelles mesures des pouvoirs publics. Ce secteur est déjà en surchauffe. Un allongement des délais de livraison et une augmentation des salaires sont attendus.
En raison de la possible hausse de salaires et des charges, la confiance des chefs d’entreprise tend à diminuer depuis quelques mois. L’indice IFO du climat des affaires s’est replié en février et en mars, entraîné par l’effondrement de la composante « anticipations ». Malgré un taux d’utilisation des capacités très élevé, l’investissement des entreprises reste bien inférieur à ses niveaux record antérieurs. Plusieurs facteurs jouent de manière négative pour les entreprises. Le déficit de main-d’œuvre incite à reporter des décisions d’investissement. L’absence de dispositions visant à réduire le poids de la fiscalité sur les entreprises encourage à délocaliser au sein des pays d’Europe centrale ou en Asie. La multiplication des tensions commerciales non seulement avec les États-Unis mais aussi avec la Russie inquiète les milieux d’affaires. L’industrie automobile allemande est confrontée à un risque de taxation de la part des États-Unis. Au mois de mars dernier, le ministre de l’économie Peter Altmaier (CDU) est allé à Washington afin de négocier avec les autorités américaines. Celles-ci ont accordé à l’Union européenne une exemption des droits de douane sur les importations d’acier et d’aluminium, mais valable jusqu’au 1er mai.
L’Allemagne doit faire face à la fin d’un cycle politique. Le quatrième mandat d’Angela Merkel semble devoir être le dernier, ce qui a d’ores et déjà lancé le débat sur sa succession. Si la législature arrive à son terme, Angela Merkel aura occupé le poste de chancelier durant 16 ans, soit autant que Helmut Kohl, son père en politique, Néanmoins d’ici là, elle devra surmonter plusieurs écueils. En effet, elle est sortie affaiblie des élections du mois de septembre dernier où son parti a obtenu son plus mauvais résultat depuis 1949. De plus ces élections ont été marquées par l’arrivée au Bundestag du parti anti-européen, AfD. La coalition avec le SPD a été conclue par défaut. La Chancelière pensait se reposer sur le FDP voire sur les Grünen. Compte tenu du mauvais résultat électoral du parti social-démocrate et des réticences de la base à accepter l’accord avec la CDU, des tensions sont à attendre au sein de la majorité. Un des associés pourrait être tenté de remettre en cause l’accord pour provoquer des élections anticipées même si ce n’est pas la tradition en Allemagne. L’enclenchement d’une guerre de succession au sein de la CDU pourrait favoriser l’accomplissement d’un tel scénario. Si le SPD a peut-être intérêt à jouer la crise, la CDU a besoin de temps pour construire le futur successeur d’Angela Merkel. Pour le moment, la chancelière allemande met en avant Annegret Kramp-Karrenbauer, Présidente de la Sarre, à qui elle a confié la direction de la CDU. Angela Merkel a ainsi voulu entraver la progression de Jens Spahn âgé de 37 ans tout en étant contrainte de le nommer Ministre de la Santé. Figure également parmi les possibles prétendants à la succession, la ministre de la défense allemande, Ursula Von der Leyen.
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