La fin du tunnel des taux bas est-il pour demain ?
Le ralentissement confirmé de la zone euro, en particulier celui de l’Allemagne, ainsi que le repli de l’inflation remettent en cause les projets de la Banque centrale européenne qui avait programmé de remonter ses taux directeurs d’ici la fin de l’année. Ses responsables ont commencé à prévenir que cette première hausse serait sans nul doute différée, voire que des outils non conventionnels pourraient être utilisés.
L’objectif d’une inflation à 2 % s’éloigne avec le recul du prix du baril de pétrole. L’inflation sous-jacente, qui est calculée en ne prenant pas en compte les biens et services subissant de fortes variations de prix, reste cantonnée au mieux à 1 %, et cela malgré le plein emploi constaté dans plusieurs pays de la zone euro. Le taux de chômage de la zone euro est redescendu au-dessous de 8 % en 2018 et le nombre d’entreprises rencontrant des difficultés pour embaucher a atteint un sommet inégalé depuis vingt ans. Pour autant, même si elle s’est légèrement accélérée en 2018, l’augmentation des salaires reste relativement faible, autour de 2 % sur une base annuelle. Cette augmentation reste très mesurée au regard de la situation du marché du travail et des cycles économiques précédents. Les nouveaux modes de production, le recours accru aux travailleurs indépendants, la moindre capacité de mobilisation des syndicats expliquent la sagesse relative des salaires. La tertiarisation des pays avancés ne facilite pas l’agrégation des revendications sociales.
Le maintien d’une inflation réduite est également imputable à une forte concurrence. L’accélération du coût salarial unitaire ne conduit pas à une hausse plus rapide des prix, sans doute en raison de l’intensité de la concurrence, domestique et internationale. Les prix des produits industriels sont toujours orientés à la baisse en raison des fortes capacités de production disponibles des pays émergents et des gains de productivité que génèrent la robotisation et le digital. Le développement de la vente en ligne qui constitue un nouveau canal de distribution pèse également sur les prix.
L’hypothèse de maintien d’une inflation sous-jacente faible dans la zone euro (autour de 1 %) est fort probable surtout si la hausse attendue du déficit commercial des États-Unis avec la politique budgétaire expansionniste, conduit à une appréciation de l’euro par rapport au dollar.
Dans ces conditions, les marges de manœuvre de la BCE sont faibles. Celle-ci est contrainte de ne pas augmenter ses taux directeurs afin d’essayer de relever l’inflation sous-jacente. Si les Allemands ont longtemps poussé à une hausse des taux de peur d’une résurgence de l’inflation sur leur territoire, la stagnation de leur économie depuis le début du deuxième semestre 2018 change la donne.
Les faibles taux en Europe ne créent pas de réels déséquilibres financiers. Le crédit progresse à un rythme modéré, autour de 3 % en rythme annuel. Tant sur le plan financier qu’immobilier, il n’est pas constaté de réelles bulles spéculatives.
La BCE ne s’interdit pas l’utilisation d’outils non conventionnels pour favoriser l’inflation et indirectement l’activité. Ainsi, dans un entretien au quotidien allemand Börsen-Zeitung, l’économiste en chef Peter Praet a indiqué qu’un point serait réalisé au mois de mars pour les prêts aux banques. Ces propos laissent suggérer que la BCE serait encline à lancer des prêts à long terme aux banques de la zone euro pour remplacer ceux d’un montant d’environ 750 milliards d’euros qui commenceront à arriver à échéance l’an prochain. Cette mesure est attendue par les banques italiennes et celles d’autres pays du sud de l’Europe. L’économiste de la BCE a indiqué que « nous devons surveiller de près la transmission de la politique monétaire au système bancaire ». Le Français Benoît Cœuré, autre membre du directoire de la BCE, a également mentionné la possibilité de nouvelles opérations de refinancement à long terme ciblée (TLTRO).
Les marchés anticipent le maintien du taux directeur nul au-delà du 31 décembre 2018. La BCE en changeant sa communication confirme les anticipations. Les difficultés financières de l’Italie, les problèmes sociaux de la France et le ralentissement allemand, dans un contexte très chahuté (Brexit, guerre commerciale avec les États-Unis) incitent la BCE à jouer la prudence. Le risque est de s’enfermer dans un scénario à la japonaise avec une difficulté chronique à relever les taux.
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