La défiance, un trait d’esprit bien dangereux

26/11/2016, classé dans

Des cinq grands pays d’Europe de l’Ouest, la France a le taux de pauvreté le plus faible. Or le ratio de Français pensant tomber dans la pauvreté à court terme est de loin le plus élevé d’Europe.

Les Français ont tendance à dramatiser leur situation et à s’imaginer plus pauvres qu’ils ne le sont. Ainsi, 75 % des Français se positionnent spontanément dans les classes populaires défavorisées ou moyennes-inférieures quand ils appartiennent pour les deux tiers à la classe moyenne. Quatre Français sur dix craignent un épisode de chômage dans les mois à venir (pour eux-mêmes ou leurs proches), mais la probabilité effective de s’y trouver (en étant en emploi un an avant) s’échelonne de 1,8 % pour les cadres à 7,3 % pour les ouvriers non qualifiés.

Ce constat vaut également pour l’intégration. 72 % des Français interrogés estiment qu’elle fonctionne mal. Pourtant, en France comme ailleurs en Europe, la sécularisation s’accélère et 89 % des descendants de deux parents immigrés disent se sentir Français. Notre pays est un des pays où le nombre de jeunes de la deuxième génération accédant à l’enseignement supérieur est un des plus élevés de l’Union européenne.

Ce pessimisme vaut également sur les effets de la mondialisation ou du progrès. La France est le pays où les thèses « déclinistes » ont le plus de succès tout comme celles liées à la théorie du complot.

La France est avant tout un pays constitué autour de son administration centrale. Ses structures portent le triple sceau de la monarchie absolue, de la Révolution et du Premier Empire. La Révolution a contribué à supprimer les corps intermédiaires au nom de la suprématie de l’Intérêt général quand la monarchie absolue et l’Empire ont privilégié un centralisme bureaucratico-militaire destiné au service du Roi ou de l’Empereur.

L’expression publique a du mal à être canalisée du fait de l’absence de structures d’intermédiation

La loi Chapelier de 1791, en interdisant la création de syndicats de salariés et de mutuelles ainsi qu’en interdisant le droit de grèves, a bloqué les relations sociales pour un siècle. Il n’y a pas eu de lieu de dialogue comme en Allemagne ou au Royaume-Uni.  En outre, les décrets d’Allarde des 2 et 17 mars 1791 qui avaient décidé la suppression des corporations n’ont pas favorisé l’émergence d’un système de protection sociale.

Il faudra attendre le 25 mai 1864 sous le Second Empire afin que le délit de coalition et de grève soit supprimé par la loi Ollivier. Dans les faits, cette loi met un terme au délit de constitution de syndicats tout en en maintenant l’interdiction. La légalisation des syndicats professionnels n’intervient qu’avec la loi du 21 mars 1884. Ce combat pour la reconnaissance des syndicats a laissé son empreinte dans l’histoire sociale de la France.

La crise de la représentation

La France n’a jamais été un pays de partis et de syndicats de masse. Le seul grand parti structuré a été le Parti Communiste et encore cela n’a été le cas qu’entre 1945 et les années 70. Si la passion politique demeure, l’investissement au sein des partis diminue. Cela se ressent tout particulièrement chez les moins de 40 ans. Ainsi, si en 1973, il y avait 10 % des députés qui avaient moins de 40 ans lors de leur première année de mandat ; ils étaient 22 % en 1981 ; ce taux est, depuis 1997, inférieur à 5 %. Ce désengagement se traduit par une forte abstention. 64 % des jeunes de 18 à 24 ans n’ont pas voté au premier tour des élections régionales contre 37 % des plus de 65 ans. Ce constat vaut également pour la vie syndicale. L’âge moyen du représentant syndical est de 59 ans. Moins de 2 % des salariés de moins de 30 ans participent à des activités syndicales. Au total, moins de 9 % des salariés sont syndiqués. Ce taux monte néanmoins à 20 % dans la fonction publique.

La séparation de l’Église et de l’État qui a été le grand combat de la IIIe République a permis l’avènement d’une société laïque. En contrepartie, les organisations religieuses sont moins impliquées dans la vie sociale qu’en Allemagne, par exemple. La laïcité qui a été un ciment de la nation éprouve les pires difficultés face au retour du fait religieux et plus particulièrement de l’extrémisme islamique.

Les collectivités locales qui ont été longtemps tenues en méfiance par l’État central n’ont pas pu jouer le rôle d’intermédiaire. Même si les lois de décentralisation leur ont octroyé quelques libertés, elles demeurent très dépendantes de l’Etat tant financièrement que sur le plan des normes à appliquer. A l’exception des communes, peut-être ne fédèrent-elles pas autour d’elles une communauté de citoyens.

De ce fait, tout a tendance à remonter au sommet qui ne peut pas, par nature, tout régler. En période de crise, ce sentiment d’impuissance des pouvoirs publics tourne à la crise institutionnelle larvée. Les Français attendent d’eux qu’ils les protègent, les assurent et les rassurent. Face à la multiplication des risques, ils se sentent souvent ignorés, voire maltraités. Il y a le sentiment que les politiques mises en œuvre ne profitent qu’aux autres.

Cette défiance s’exprime aussi dans le sentiment que l’éducation, et les diplômes ne sont plus une garantie d’emploi ni d’élévation sociale. Il y a l’idée en grande partie fausse que l’ascenseur social ne fonctionne plus. L’École de la République, terme qui traduit bien l’importance qui lui est accordée, est jugée par un nombre croissant de Français comme peu performante et inégalitaire. En 1945, le plan Langevin-Wallon qui fixe les objectifs à poursuivre en matière d’éducation soulignait que l’école doit « donner la possibilité aux enfants de pouvoir bénéficier de l’instruction et d’accéder à la culture la plus développée afin que les fonctions les plus hautes soient réellement accessibles à tous ceux qui auront les capacités requises pour les exercer et que soit ainsi promue une élite véritable, non de naissance mais de mérite et constamment renouvelée par les apports populaires ».

Si l’école est contestée, elle reste encore un des pivots de la société française. Lieu de la formation, elle est aussi un espace de rencontre pour les parents, un espace de solidarités où les uns et les autres se rendent des services (garde des enfants, activités, transports, etc.).

L’entreprise, un havre de réconfort

L’entreprise, l’organisme dans lequel on travail, est bien souvent le lieu clef de la socialisation. Les Français continuent à se définir par rapport à leur activité. Sur Facebook, les Internautes mettent en avant leur entreprise, comme quoi ils ont besoin de se raccrocher à quelque chose de tangible. Selon un sondage Ipsos de 2014 réalisé pour le Monde, 66 % des Français ont une image positive de l’entreprise et même 23 % une image très positive. Les Français sont parmi les Européens ceux qui accordent la plus grande importance au travail, ce qui ne les empêche pas d’être 42 % à déclarer que leur travail n’est pas reconnu à sa juste valeur (moyenne au sein de l’Union européenne 31 %).

La crise des territoires

Les Français qui ne vivent pas au cœur des métropoles ont un sentiment d’abandon. Les difficultés de transports, l’accès plus complexe aux services publics, les liaisons Internet de moindre qualité, l’insécurité constituent autant de griefs que les ruraux et les périurbains expriment. 60 % des habitants des villes de moins de 70 000 habitants pensent que leur territoire ne profitera pas du redécoupage régional. 47 % des personnes vivant en milieu rural considèrent que leur territoire n’est pas capable d’affronter la mutation économique en cours.

La France est à deux vitesses. Plus de 52 % des diplômés d’âge actifs habitent dans des villes de plus de 500 000 habitants. Les grandes agglomérations attirent les jeunes et les diplômés quand les villes de taille moyenne sont confrontées à un rapide vieillissement de leur population. En 2012, plus de 60 % des salaires étaient versées au sein des grandes agglomérations quand les villes de taille moyenne n’en recevaient que moins de 17 % (étude ANR).

La crise de la surinformation

Les Français rejettent les élites, les institutions mais ils continuent de se passionner pour la vie politique comme en témoigne l’engouement pour les primaires de la droite et du centre. Il y a un phénomène de passion-répulsion pour la politique qui est attisé par un grand nombre de médias. Notre pays compte quatre chaînes d’information (cinq avec France 24), de nombreux quotidiens nationaux, une presse régionale encore dynamique. Les réseaux, avec plus de la moitié des Français sur Facebook, sont également devenus des sources d’information voire de désinformation importantes.

Le regard d’un Allemand sur l’étrange pays qu’est la France

Le Président du conseil de surveillance de DaimlerChrysler, Manfred Bischoff, lors d’un dîner avec des économistes français à l’Ambassade d’Allemagne, en 2014, soulignait que le pessimisme des Français était tout à la fois un sujet d’incompréhension et d’inquiétude outre-rhin. Il avait été ainsi étonné qu’après la décision de doter certains modèles de Mercedes de moteurs fabriqués par Renault, des clients français aient fait part de leur mécontentement. Ces derniers considéraient qu’une Mercedes avec un moteur français n’était plus une bonne voiture. Sur la qualité du travail, sur l’efficacité de l’administration, sur l’innovation, il considère que la France fait jeu égal avec son pays mais que le mal-être  de celle-ci constituait un véritable frein pour la croissance.

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