La Crise du Coronaviris

18/04/2020, classé dans

L’ajustement au fil de la crise

Avec l’allongement de la durée du confinement, avec la montée en puissance du chômage partiel qui concerne désormais plus de 8 millions de salariés en France, le Gouvernement est contraint d’ajuster en permanence les prévisions budgétaires. En France, le poids des dépenses publiques qui atteignait déjà le niveau record au sein de l’OCDE avant la crise devrait ainsi dépasser 60% en 2020. Jamais un tel taux n’avait été atteint en France. Il est la conséquence de la socialisation accrue des revenus des ménages et du soutien apporté aux entreprises.

En quelques jours, le Gouvernement a revu ses prévisions à la baisse de manière très importante. Le PIB reculerait cette année de 8 %, soit un taux jamais connu en France depuis 1945. Le déficit public battrait également un record en s’établissant à 9 % du PIB. La dette publique pourrait atteindre 115 % du PIB. En 2009, le PIB avait reculé de de 2,9 %. Les deux déficits les plus élevés en temps de paix avaient été enregistré en 1993 (6,4 %) et en 2009 (7,2 %). À chaque nouvelle crise, le déficit est de plus en plus important. La dette publique française n’a été supérieure à son niveau actuel qu’à la sortie des deux conflits mondiaux du XXe siècle. Le Haut Conseil des Finances Publiques a estimé, mercredi 15 avril, que les prévisions du Gouvernement étaient encore trop optimistes. Il considère que le pari d’un rebond économique en fin d’année est incertain.

Cercle de l’Épargne – données INSEE

*prévisions

Le Ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, a indiqué que le montant du plan de soutien à l’économie était évalué à 110 milliards, contre 100 milliards la semaine dernière, et 45 milliards il y a trois semaines. Le dispositif de chômage partiel pourrait coûter plus de 24 milliards d’euros. Le budget du fonds de solidarité pour les indépendants passerait à 7 milliards d’euros, la contribution des assureurs ayant été porté de 200 à 400 millions d’euros. L’aide exceptionnelle pour les familles modestes, dont le coût n’est pas encore connu devra être intégrée. Certains secteurs d’activité devraient bénéficier d’une annulation de charges et d’impôts. Seraient concernés en priorité l’hôtellerie et la restauration. Le manque à gagner pour les recettes publiques pourrait s’avérer bien supérieur aux dernières estimations du Gouvernement.

Cercle de l’Épargne – données INSEE et prévisions du Gouvernement

Le gouvernement face à quelques écueils

L’augmentation des dépenses publiques pose deux problèmes majeurs, celui de son financement et celui de sa résorption après la crise. Pour le financement, la politique monétaire de la BCE ouvre la voie à un endettement à un bon prix. Les faibles taux d’intérêt diminuent la facture. Les rachats d’obligation par la Banque centrale constituent une sécurité pour les États membres de la zone euro. À terme, ces obligations acquises par la BCE pourraient être entièrement monétisées même si une telle opération n’entre pas juridiquement dans le champ de compétence des autorités monétaires. Le second problème est celui de l’assainissement des comptes publics. À chaque nouvelle crise, la France met un plus de temps à réduire ses déficits par rapport à la précédente. Certaines dépenses concernant les revalorisations de traitement de certaines catégories de fonctionnaires, la santé, les prestations sociales pour les plus démunis, les aides à certains secteurs d’activité, sont pérennes ou risquent de le devenir. Existe-t-il un niveau maximal de socialisation de la création de richesses ? La question du relèvement des impôts se posera à un moment ou un autre. Le calendrier électoral ne facilitera pas l’adoption de mesures au niveau des finances publiques. En effet, au mois de mars 2021, les électeurs seront appelés à voter pour renouveler les assemblées des régions et des départements. Entre avril et juin 2022, ils auront la responsabilité d’élire le Président de la République et leur député. L’exécutif devra donc slalomer entre les contraintes sanitaires, économiques, financières et électorales dans les vingt prochains mois.

L’enfer n’est jamais certain

Les instituts de conjoncture économique revoient les uns après les autres leurs prévisions pour 2020 et 2021. Tous prédisent une récession sans précédent de l’économie mondiale suivie d’une reprise ne permettant pas de compenser les pertes de la crise. Le niveau élevé des incertitudes ne conduit par les économistes à percevoir une rapide embellie. En prenant le parti d’une crise plus sévère qu’en 1929, l’idée d’un prompt rétablissement tel que la France l’avait connu au cours du troisième semestre 1968 après l’arrêt de l’économie au mois de mai de la même année n’est pas pour le moment retenu. Le stop économique mondial imposé par le confinement est une première ; les perturbations qu’il est susceptible de générer sont encore difficilement appréciables.

Pour le FMI qui tient son Assemblée générale du 17 au 19 avril en visioconférence, l’économie mondiale devrait connaître en 2020 sa pire récession depuis la Grande dépression de 1929. Le PIB de l’économie mondiale devrait reculer de 3 %. Le recul serait de 6,1 pour les économies avancées. Le PIB se contracteraient de 5,9 points pour les États-Unis, de 7,5 points pour la zone euro et de 6,5 points pour le Royaume-Uni.  L’Allemagne subirait une perte de 7 %, la France, de 7,2 % et l’Italie de 9,1 %. Preuve d’un véritable choc sans précédent, le commerce mondial devrait s’atrophier de plus de 10 % quand la dette publique atteindrait de nouveaux sommets. La dette publique, dans les économies industrialisées, passerait de 105,2 % du PIB en 2019 à 122,4 % cette année. Avec un déficit budgétaire de 15,4 % du PIB, la dette publique des États-Unis pourrait s’élever à 131 %. L’endettement de l’Italie devrait atteindre 155 %, celui de la France 115,4 % et celui de l’Espagne 113,4 %. La dette publique de l’Allemagne passera de 59,8 à 68,7 % du PIB. Le FMI espère une nette reprise pour 2021, soit +5,8 %, mais qui ne permettra pas de compenser toutes les pertes subies en 2020. La perte cumulée du PIB mondial sur 2020 et 2021 due au COVID-19 s’élèverait à 9 000 milliards de dollars, soit un chiffre supérieur aux économies du Japon et de l’Allemagne réunies. Si les confinements perduraient avec un endiguement partiel et fragile de l’épidémie, le FMI estime que la chute du PIB pourrait s’amplifier avec un risque possible d’enclenchement d’un réel cycle dépressif. Dans le scénario le plus sombre, le PIB pourrait se contracter en 2021 de 8 %.

Cercle de l’Épargne – données FMI

Pour le FMI, les États devront augmenter dans les prochains mois de manière substantielle les dépenses de santé pour permettre aux systèmes de soins de faire face à une résurgence de l’épidémie. L’organisation internationale préconise une amélioration des revenus des professionnels de la santé. Des allocations d’éducation pour leurs enfants et un dispositif d’indemnisation pour les familles en cas de décès en raison d’une infection au COVID-19 devraient être institués selon le FMI qui s’inspire des systèmes en vigueur pour les militaires tombés au front.

Le FMI juge nécessaire de soutenir financièrement les populations et de maintenir les liens économiques entre les travailleurs et les entreprises, d’une part, et les prêteurs et les emprunteurs, d’autre part. L’objectif est de préserver aussi bien que possible l’infrastructure économique et financière de la société. Il appuie les actions des banques centrales visant à assurer la liquidité de la sphère financière. Il reconnait que ces actions ont, pour le moment, empêché l’apparition d’une déflation à l’échelle mondiale.

Pour le FMI, la situation économique et financière de nombreux pays émergents et en voie de développement est très délicate. Ces pays sont fréquemment confrontés à des problèmes de gouvernance publique. Ils ne disposent pas de système de santé développés et n’ont pas une monnaie de réserve leur permettant d’accéder au marché de capitaux mondial. Le FMI appelle à l’instauration d’une solidarité internationale afin d’éviter l’effondrement de certains États. Ainsi, l’organisation internationale demande que les pays pauvres fortement endettés puissent bénéficier de moratoires et de restructurations. Elle réclame une amélioration des infrastructures de santé publique avec un échange d’informations renforcé et plus automatique sur les infections exceptionnelles, une mise en œuvre plus rapide et plus généralisée des tests, la constitution de stocks mondiaux de matériel de protection individuelle, et la mise en place de protocoles visant à lever toute restriction au commerce de biens essentiels.

Dans les années 30, les États avaient opté pour des politiques non-coopératives qui avaient débouché sur des mesures protectionnistes. La mise en place de politiques de change inadaptées a entretenu la déflation. L’existence d’un réseau de banques centrales avec le FMI comme prêteur en dernier ressort constitue un atout dans le cadre de la crise actuelle. Le risque d’une remise en cause des institutions multilatérales, en particulier par Donald Trump, ne doit pas être négligé. Après son élection, il avait vertement reproché à la Présidente de la FED de l’époque, Janet Yellen, de prendre des initiatives internationales. Il a dénoncé à de multiples reprises le fonctionnement de l’Organisation Mondiale du Commerce et a décidé de suspendre la participation financière à l’Organisation Mondiale de la Santé.

La santé, le chantier des prochains mois

La crise du COVID-19 a souligné les faiblesses des systèmes de santé des pays les plus avancés qui mobilisent pourtant une part importante de leur PIB. Les États-Unis, la France, l’Allemagne ou le Japon consacrent plus de 10 % de leur PIB aux dépenses de santé. Dans la majorité des pays de l’OCDE, sur ces dix dernières années, ces dépenses ont progressé.

Source : OCDE

Les pays avancés très exposés face au COVID-19

Dans tous les pays, l’infection au COVID-19, dans ses formes les plus graves, concerne majoritairement les personnes âgées, et celles souffrant de maladies chroniques sont particulièrement à risque. L’obésité serait un facteur aggravant. Le système de santé des pays occidentaux comptant tout à la fois une population âgée importante et des risques élevés d’obésité, a été mis à dure épreuve. Le taux de mortalité du COVID-19 dépend également du nombre de lits en soins intensifs dont disposent les pays. Plus il est élevé, moins le nombre de morts est important. Dans la zone OCDE, plus d’une personne sur six est âgée de plus de 65 ans, dont 60 % vivent avec de multiples maladies chroniques. L’Italie, l’un des pays les plus touchés, a la deuxième plus grande proportion de personnes de plus de 80 ans dans l’OCDE, après le Japon.

Comment les pays de l’OCDE ont réagi face à la situation sanitaire exceptionnelle qu’ils connaissent depuis plusieurs semaines ?

Que ce soit aux États-Unis, en Allemagne ou en France, les autorités ont opté pour des réquisitions de médicaments et de matériels de santé ainsi que pour l’encadrement de certains prix (test, gel hydroalcoolique, etc.). Pour renforcer les capacités des personnels de santé, certains pays ont autorisé les étudiants en médecine en dernière année de formation à commencer à travailler dès maintenant. Des retraités du secteur de la santé ont également repris du service. Il a été également fait appel aux pharmaciens, aux assistants de soins, voire aux vétérinaires. Pour réduire les risques de contamination et pouvoir diagnostiquer un nombre important de patients, dans plusieurs pays, des systèmes de dépistage au volant (drive) ont été institués. La Corée du Sud a été un des premiers pays à recourir à cette méthode. Tous les pays ont fait des efforts pour isoler les cas suspects et confirmés, notamment en encourageant l’hospitalisation à domicile comme aux États-Unis. La possibilité d’isoler les personnes malades mais n’ayant pas besoin de soins lourds dans des hôtels ou des résidences spécifiques est également pratiquée.

Accélération de la diffusion de solutions digitales

L’accès à la télémédecine a été facilité en France et aux États-Unis. Israël a introduit des appareils robotiques et l’utilisation de la télémédecine pour surveiller l’état de santé des personnes mises en quarantaine. La Corée a développé des applications pour smartphones afin de permettre aux personnes en quarantaine de signaler l’évolution de leurs cas et de surveiller le respect de la quarantaine. La France pourrait recourir à une application visant à circonscrire rapidement l’apparition de nouveaux foyers après le déconfinement le 11 mai prochain. Des initiatives d’intelligence artificielle visant à suivre la propagation du virus et à prédire où il pourrait apparaître par la suite ont été développées au Canada. La crise sanitaire souligne la nécessité de renforcer les mécanismes de surveillance des maladies infectieuses. Une utilisation plus efficace et coordonnées des dossiers médicaux électroniques nationaux normalisés (DME) permettrait au système de santé de réagir plus rapidement. Actuellement, selon l’OCDE, seuls la Finlande, l’Estonie, Israël, le Danemark, l’Autriche, le Canada, la République slovaque et le Royaume-Uni, ainsi que Singapour, sont bien préparés sur le plan technique et opérationnel à générer des informations à partir des DME. L’absence de communication entre les différents acteurs de santé rend difficile dans de nombreux cas l’exploitation des données de santé. En France, l’Assurance maladie et le Ministère de Santé ont toujours entretenu des relations compliquées avec les autres acteurs (assureurs, groupe de protection sociale, cliniques, etc.).

Une remise à plat des systèmes de santé

L’OCDE souligne que la crise a démontré la rigidité des systèmes de santé qui éprouvent des difficultés à s’adapter face à une nouvelle menace. La mortalité au COVID-19 est liée non pas aux dépenses de santé mais au nombre de lits en soins intensifs. Ce lien est net pour l’Allemagne, le Japon, la France, l’Italie et l’Espagne. Cette corrélation ne se retrouve pas, en revanche, pour la Suède. La disponibilité des lits d’hôpitaux et leur taux d’occupation varient considérablement d’un pays à l’autre. En ce qui concerne les lits de soins aigus, le Japon en a le plus grand nombre, avec près de 8 lits pour 1 000 habitants, suivi par la Corée et l’Allemagne. Pour certains pays de l’OCDE, les lits dans les unités de soins intensifs varient d’un facteur de 6. Le lien entre nombre de lits de soins intensifs et celui des décès par le COVID-19 est très net.

Nombre de lits de soins intensifs

au sein des pays membres de l’OCDE en 2017

L’organisation préconise le renforcement de la coopération internationale en particulier pour la recherche et pour la constitution de stocks. La coordination des pays pour obtenir un endiguement de l’épidémie est un impératif. Même après l’atteinte du pic et après les déconfinements, la surveillance internationale devra rester élevée tant qu’un vaccin ne sera pas commercialisé. Selon l’OCDE, celui-ci ne devrait pas être disponible avant 18 mois.

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