La carte des inégalités territoriales en France

20/03/2021, classé dans

Dans son essai « L’archipel français », Jérôme Fouquet a décrit une France fragmentée dans laquelle les inégalités territoriales s’accroissent. Les territoires ruraux seraient victimes d’un abandon des pouvoirs publics, abandon se traduisant par une absence de médecins, de services et de loisirs. L’opposition monde rural, monde urbain est trop réductrice tout comme l’idée d’une volonté de l’État de réduire les dépenses publiques en faveur des petites communes. La situation est moins manichéenne qu’il n’y paraît.  Le ressenti de l’opinion, une fois de plus, ne coïncide pas avec la réalité froide de certains chiffres.

Des emplois concentrés sur les grandes agglomérations mais qui peuvent être au service du rural

La distribution territoriale des emplois a été fortement inégalitaire ces vingt dernières années. De 2008 à 2018, plus de 700 000 emplois ont été créés au sein des douze premières métropoles françaises quand, dans le reste du pays, plus de 300 000 emplois ont été perdus. L’après crise des subprimes de 2008/2009 a accéléré les écarts entre les différentes catégories de villes au détriment de celles de taille moyenne. Les pertes d’emplois ont été avant tout concentrées dans les agglomérations se situant entre la 12e

et la 50e place sur le plan démographique. Dans cette catégorie, figurent notamment Saint-Etienne, Le Havre, Rouen, Metz ou Béthune. Des villes comme Dunkerque, Thionville ou Blois ont continué à perdre des emplois même durant les années 2016/2019 pourtant marquées par de nombreuses créations sur l’ensemble de la France. Les vingt et une métropoles françaises ont enregistré une augmentation de 8 % de leurs emplois entre 2008 et 2019 quand la moyenne nationale est de 3 %. Si Nancy, Metz, Rouen ou Saint-Etienne ont perdu des emplois, Toulouse et Nantes ont en gagnés respectivement 22 et 20 %, devançant ainsi Bordeaux, Montpellier et Lyon (plus de 10 % pour chacune). Les emplois ont tendance à se concentrer dans le cœur des grandes agglomérations et au sein de la première couronne. Les activités créatrices d’emplois appartiennent au secteur tertiaire en lien avec la montée en puissance des activités numériques et des services domestiques (emplois à la personne, commerces de proximité, livraison, chauffeurs, etc.).

Dans les 6 900 communes dites isolées (communes se situant en dehors de la sphère d’influence d’un pôle économique majeur) recensées par l’INSEE, 23 000 emplois ont été perdus en dix ans mais, dans le même temps, leur population active occupée a augmenté de 26 000. Près de 40 % des actifs de ces villes travaillent au sein d’une aire urbaine, contre 30 % en 1999. Si les communes rurales enregistraient des pertes de population entre 1968 et 1999, elles en gagnent depuis (+70 000 en vingt ans). Cette augmentation est liée aux flux migratoires (+300 000) alors que le solde naturel est fortement déficitaire (-70 000). Ces territoires sont de plus en plus intégrés à des espaces économiques larges avec une présence de nombreux navetteurs. Les pertes d’emploi au sein des communes isolées ont essentiellement concerné l’agriculture (-28 000 emplois) et l’industrie (-14 000). 21 000 emplois non marchands ont été créés. Les créations d’emploi par les administrations publiques ont été plus importantes en milieu rural (+13 % en dix ans) qu’au niveau national (+10 %). Ces créations ont permis de compenser la moitié des pertes d’emploi en milieu rural. Contrairement à certaines allégations, l’État n’a pas abandonné les petites communes, le nombre de fonctionnaires par habitant a augmenté plus vite dans ces zones que dans le reste du pays.

L’essor des grandes agglomérations françaises ne s’effectue pas totalement au détriment des villes de taille moyenne ou du milieu rural. Les métropoles en agglomérant l’offre de travail permet aux ruraux de trouver plus facilement un emploi notamment grâce aux voies de transports. En milieu diffus, il serait difficile de proposer à un nombre important de personnes des emplois qui devraient par ailleurs être facilement accessibles. Les emplois dans les grandes agglomérations se concentrent de plus en plus autour des gares. Par ailleurs, des territoires non reliés à une grande agglomération peuvent connaître de forts taux de croissance comme le prouvent en Vendée, les bassins d’emploi de La Roche-sur-Yon ou des Herbiers. D’autres villes de la région des Pays de la Loire, Angers ou Niort ont également enregistré une forte expansion.

La fermeture des petits commerces est souvent pointée du doigt comme un signe de désertification. Or, depuis 2006, le commerce de détail a enregistré une augmentation de 4,6 % des emplois au sein des 6 900 communes dites isolées. Pour les seuls débits de boisson, plus de 1 130 créations d’emploi ont été constaté entre 2007 et 2018.

Des déserts à relativiser

De nombreux Français rencontrent de plus en plus de difficulté à obtenir un rendez-vous chez un médecin. Ils sont contraints de se déplacer sur de grandes distances pour trouver un spécialiste. La notion de déserts médicaux est devenue prégnante. Or la réalité est plus complexe qu’il n’y paraît. La proportion de médecins en milieu rural est identique à celle de l’ensemble de la France (1 pour 1000 habitants). Elle est même supérieure à celle de l’Île-de-France. Dans cette région, la démographie médicale a perdu plus de 3 600 praticiens en dix ans. 76 % de la région parisienne est classée « zone fragile ». Cela en fait le premier désert médical de la France métropolitaine. À Paris, les médecins généralistes exerçant en profession libérale sont de plus en plus rares. Ils privilégient les postes en salariés. Les contraintes horaires et le coût du foncier expliquent cette évolution. Les départements difficiles comme la Seine-Saint-Denis n’attirent plus les jeunes médecins. Cette situation contribue à la saturation des services d’urgence des hôpitaux parisiens. En milieu rural, la couverture en établissements de santé étant plus faible (de 15 à 35 % selon le type d’établissement), une large part des patients sont contraints de se rendre à l’hôpital en voitures ou en ambulances. Sur ce point, la prise en charge par la Sécurité sociale, des dépenses de transports contribue à rétablir une certaine égalité. Les pouvoirs publics ont maintenu des hôpitaux dans des villes de 10 000 habitants, le plan de fermetures ayant été suspendu depuis deux ans.

Au niveau de l’enseignement, les enfants vivant en milieu rural doivent parcourir plus de kilomètres pour aller à l’école. Les départements gèrent néanmoins un réseau dense de transports collectifs. En France, les temps de transports entre le lieu d’habitation et les établissements scolaires sont faibles, autour de 15 minutes avec peu de différences entre les différentes catégories de communes. 3,8 % des élèves français de moins de 14 ans vivent en milieu rural. Ils peuvent compter sur 3,8 % des professeurs des écoles du pays. Malgré des fermetures de classes, le maillage d’écoles reste un des plus dense d’Europe.

Les pensions et le tourisme, les clefs de voûte des revenus en milieu rural

Les territoires ruraux bénéficient d’importants revenus de transferts. En ayant proportionnellement un nombre plus important de retraités que le reste de la France, les pensions apportent 40 % des revenus nets des ménages y résidant contre 25 % en moyenne pour l’ensemble du pays.

Le tourisme fournit des revenus accessoires importants pour la population vivant dans les petites communes qui comptent plus de 188 000 emplacements de camping et près de 50 000 chambres d’hôtel. 770 000 résidences secondaires qui représentent 34 % des logements y sont également dénombrées. Le tourisme apporte 40 % des revenus (hors ressources en provenance des navetteurs) des ménages habitant dans les 6 900 communes rurales.

Un effort budgétaire important en faveur du rural

Les communes rurales qui représentent 5 % de la population reçoivent 7 % de la dotation globale de fonctionnement qui est la principale dotation de l’État aux collectivités locales. La dotation globale de fonctionnement par habitant est de 36 % supérieure à la moyenne nationale. L’Île-de-France est de loin la première contributrice. Les ménages y demeurant bénéficient de 22 % des revenus disponibles bruts quand le PIB de la région représente 31 % du de celui de la France. Selon l’INSEE, 110 milliards d’euros sont, ainsi, redistribués. Ce constat vaut pour les autres métropoles. Une part non négligeable des transferts prend la forme de pensions de retraite. Les actifs des grands centres urbains financent les retraités qui se trouvent notamment au sein des communes rurales et sur les façades maritimes du pays. Les grandes villes contribuent aux revenus des ménages ruraux qui y travaillent. Près de 200 000 personnes travaillent dans la métropole de Lyon tout en n’y résidant pas. Cela représente 28 % des emplois. À Toulouse, ce ratio est encore plus élevé, 35 %.

La France se caractérise par une forte redistribution des revenus. Elle est le pays dont le niveau des dépenses publiques est le plus élevé au sein des pays avancés. Ces dernières sont passées de 1975 à 2018 de 40 à 57 %. En 2020, elles ont dépassé 63 % du PIB. Entre 2006 et 2016, la France a créé 530 000 emplois non marchands essentiellement dans les trois fonctions publiques quand elle en perdait 31 000 dans le secteur marchand. Entre 2008 et 2017, les effectifs de la fonction publique hospitalière a progressé de 14 %, plus de trois fois plus vite que la population française. Sur la même période, en euros constants, les dépenses de santé ont augmenté de 15 %. La rémunération des personnels de santé a, sur la même période, augmenté plus vite que celle de l’ensemble des actifs (+12 % contre 10 %). 800 établissements ont été fermés en vingt ans sur un total de 4 600. Le nombre de lits a été diminué de 100 000 sur un total de 500 000. Cette réduction est liée au développement des soins ambulatoires et à la réduction des durées d’hospitalisation.

Une forte réduction des inégalités entre la ville et les campagnes

En vingt ans, la hausse des revenus a été, au sein des communes isolées, de 50 % contre +42 % pour l’ensemble de la France. L’écart des revenus par rapport à la moyenne nationale est ainsi passé de 14 à 10 points. En prenant en compte le fait que 73 % des résidents ruraux sont propriétaires de leur résidence principale, le pouvoir d’achat serait dans les faits identiques entre ceux-ci et les la moyenne de la France (hors Île-de-France).

Les inégalités régionales ont fortement diminué ces vingt dernières années en France. Les revenus après redistribution par habitant des régions les plus pauvres progressent plus vite que ceux des régions les plus riches. Ce constat vaut pour tous les départements à l’exception de certains en Île-de-France qui ont tendance à s’appauvrir et à diverger de la moyenne nationale. Une montée des inégalités est constatée, en revanche, au niveau communal avec une gentrification de la population sur certaines parties du territoire. En Seine-Saint-Denis, de 1999 à 2015, les cinq communes les plus pauvres ont enregistré de 1999 à 2015 une hausse du revenu par habitant de 22 % quand celle-ci atteint 32 % au sein des cinq communes les plus riches. Au sein des grandes agglomérations, les villes mal reliées au cœur et qui étaient pauvres à la fin du siècle dernier le sont encore plus vingt ans plus tard. En revanche, celles qui sont à proximité du cœur de l’agglomération, comme Montreuil en région parisienne, ont connu une forte évolution du niveau moyen de leur population.

Le ressenti de la population française est très éloigné des données statistiques fournies par l’INSEE. L’exigence sociale et égalitaire a augmenté ces trente dernières années. Elle n’est pas sans lien avec la montée des qualifications et des changements dans la composition des populations. Dans les années 1970, le milieu rural était encore dominé par les agriculteurs dont le nombre dépassait 1,5 million. En 2020, la France n’en compte plus que 400 000. Les villes rurales sont aujourd’hui composées de personnes à la retraite et de semi-ruraux ou de semi-urbains. Dans ces deux dernières catégories figurent les personnes habitant en milieu rural mais qui travaillent au sein d’une agglomération urbaine et les propriétaires de résidence secondaire. Par ailleurs, les nouveaux résidents des petites villes rurales comprennent également des ménages à revenus modestes qui partent de la ville par incapacité à assumer le coût d’un logement. Cette émigration subie est souvent une source d’amertume. Les attentes de ces différentes populations diffèrent fortement avec celles des décennies précédentes. L’absence ou la rareté de services de proximité est plus sévèrement jugée par des inactifs que par des actifs. De même, les urbains qui décident de s’installer à la campagne souhaitent retrouver les mêmes commodités qu’à la ville.

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