La bataille de la défense européenne

29/10/2022, classé dans

Les entreprises utilisent de plus en plus les outils offerts par les technologies digitales dans leur communication. Ces outils ont envahi également le champ de la politique et des relations internationales. Donald Trump menait la politique internationale américaine à à coups de tweets. La Russie, la Turquie ou la Chine sont suspectéesde mener des actions d’influence voire d’ingérence en ayant recours à toute la palette qu’offre le digital (fausses informations, hacking, etc.). L’Ukraine qui disposait d’un secteur du numérique dynamique a, dès le début de l’invasion de son territoire par la Russie, décidé d’exploiter au mieux son savoir-faire. La guerre se mène désormais évidemment sur le terrain mais aussi sur Internet. Le 12 octobre dernier, le ministère ukrainien de la Défense a publié sur les réseaux un clip détournant la chanson de Serge Gainsbourg « Je t’aime moi non plus » afin d’inciter le gouvernement français à livrer davantage de canons Caesar. Ce type de message a un effet bien plus important qu’un communiqué de presse ou un coup de téléphone. Le jour même, le président Emmanuel Macron a annoncé que la France enverrait six autres obusiers Caesar, en plus des 18 déjà livrés, ainsi que des systèmes anti-aériens, des radars. Accusée de promettre beaucoup mais de donner peu, la France a, par la voix de Sébastien Lecornu, ministre de la Défense, décidé, le 15 octobre dernier, d’accroître son effort en faveur de l’Ukraine. La France enverra donc rapidement des systèmes de défense aérienne Crotale qui seront opérationnels dans les deux mois et formeront 2 000 soldats ukrainiens. Elle envisage également d’envoyer des systèmes de lance-roquettes. La pression des réseaux sociaux et des médias ont donc contraint le gouvernement à faire preuve de transparence dans un domaine où le secret est de mise.

Selon l’institut allemand de Kiel, entre le 24 janvier et le 3 octobre, la France n’aurait offert que 220 millions d’euros d’aide militaire à l’Ukraine, moins que la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la Pologne et la Norvège. Les responsables français soutiennent que l’aide réelle est supérieure tout en reconnaissant que l’armement français représentait moins de 2 %, en tonnage global livré. Le gouvernement indique que, pour apprécier le montant de l’aide, il convient de prendre également en compte la formation des militaires et le renseignement. Avec un budget militaire d’environ 2 % du PIB, la France fait moins que ses partenaires en raison de son absence de marges de manœuvre. Le budget militaire est grevé par la force de dissuasion nucléaire et par les forces d’intervention extérieure. La réduction des dépenses ont eu pour conséquences un moindre remplacement des équipements et une diminution des stocks de munitions. Les 18 canons Caesar proposés à l’Ukraine représentent près du quart du stock total de l’armée française. Les six supplémentaires sortiront d’une chaîne de production de Nexter, dans le cadre d’une commande initialement destinée au Danemark. Trois systèmes antimissiles représenteraient près du quart de ce que possède l’armée française. L’appui à l’Ukraine réduit les capacités logistiques de l’armée française, sachant que les livraisons sont étalées dans le temps, l’industrie de la défense étant dimensionnée pour des petites commandes.

Après une longue période de baisse des budgets de la défense, l’Europe se retrouve dans la nécessité de rattraper le temps perdu. Les besoins de l’Ukraine pour faire face à l’armée russe, supposée la deuxième plus puissante du monde, sont importants. L’approvisionnement d’une armée en guerre suppose des chaînes logistiques sophistiquées capables de livrer en masse en permanence. L’industrie militaire française s’est contractée en vingt ans. Les coopérations entre partenaires européens à l’exception des hélicoptères sont toujours difficiles à organiser. L’avion de transport 400M d’Airbus a donné lieu à de nombreux conflits et retards entre les différents partenaires. Les projets de char et d’avions en commun sont toujours en discussion. Entre intérêts stratégiques différents et interférence américaine, l’organisation d’un consensus européen sur le sujet demeure un combat. Le retour des Démocrates à la Maison Blanche après l’épisode Donald Trump constitue pour l’Allemagne comme pour les États d’Europe de l’Est une garantie de maintien du parapluie. En cas de retour au pouvoir des « Trumpistes », il pourrait en être différemment. La France ne constitue pas, pour le moment, une alternative, ses relations avec l’Europe de l’Est étant complexes depuis le début du siècle.  

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