Il faut sauver le soldat « euro »

25/03/2017, classé dans

L’Allemagne avec ses excédents commerciaux représentant 8 % du PIB et avec son excédent budgétaire est-elle devenue trop forte pour les autres européens ? Les divergences économiques entre les États membres de la zone euro ne poseront-elles pas problème – quel que soit le résultat des élections –, au point de remettre en cause la monnaie commune ?

La monnaie repose avant tout sur la confiance. J’accepte d’être payé en euros car je sais que cette monnaie me permet à tout moment de réaliser des achats et de me libérer d’une dette sans risque de perte de valeur. Si demain, j’ai un doute, j’essaierai au plus vite  de me débarrasser de ma monnaie et  j’opterai pour une autre devise plus sûre. C’est ce qui se passe dans un certain nombre de pays émergents où la monnaie officielle est concurrencée par le dollar. De telles situations engendrent de l’inflation et conduisent à une crise de liquidité du fait que les acteurs économiques refusent la monnaie nationale. La défiance vis-à-vis de la monnaie peut se mesurer par la vitesse de circulation qui a tendance à s’accroître et par les taux d’intérêt qui ont tendance à augmenter. Le taux d’intérêt comporte alors une prime de risque liée à la possible dépréciation de la monnaie, à une montée de l’inflation ou à une banqueroute potentielle.

L’euro est une monnaie commune à plusieurs États indépendants, ce qui constitue une première dans l’histoire monétaire internationale à l’exception de l’expérience inaboutie de l’Union monétaire latine (1865-1927). La monnaie, c’est tout à la fois une unité de compte, un instrument d’échange et un outil de réserve. Les États membres de la zone euro sont co-responsables de la monnaie commune. Il y a également une co-solidarité de fait même si sur ce sujet le Traité de Maastricht est discret. Le recours à une même monnaie suppose tout à la fois une certaine forme de mutualisation qui impose une responsabilisation de toutes les parties prenantes. Les critères de Maastricht visaient à fixer des limites aux États afin qu’ils ne puissant pas, par des comportements déviants, mettre en difficulté les autres participants au club.

L’esprit de mutualisation s’est exprimé jusqu’à la survenue de la crise financière par l’absence d’écart de taux d’intérêt entre les différents États. Ainsi, prêter à la Grèce ou à l’Allemagne de 1999 à 2008 était presque identique. Compte tenu des différences de croissance, d’inflation, ce phénomène a joué en faveur des pays d’Europe du Sud. Durant 10 ans, des transferts financiers ont été effectués permettant un recyclage des excédents commerciaux que les pays d’Europe du Nord réalisaient. Ces transferts se sont arrêtés avec la crise de 2008 et surtout lors de celle de 2011 concernant la dette souveraine grecque. Les écarts de taux ont fait leur réapparition, ce qui pèse sur la croissance des pays concernés.

La segmentation de l’espace financier de la zone euro a mis un terme au seul dispositif de correction des inégalités économiques. Désormais, le bouclage financier, au sein de la zone euro, est assuré par la Banque centrale mais cela s’effectue de manière dérogatoire.

La divergence des économies se traduit par des écarts de croissance non négligeables. Si le PIB allemand était, à fin 2016, supérieur de 7,8 points à celui du 1er trimestre 2008, ceux de l’Italie, de l’Espagne ou de la Grèce n’avaient pas retrouvé leur niveau d’avant crise. Pour l’Italie, le recul est de 7,1 %. Il en est de même pour l’emploi.

Logiquement l’accumulation des excédents courants allemands aurait dû conduire à une accélération des salaires d’autant plus que le pays est en situation de plein emploi. Or, au mois de décembre 2016, la hausse des salaires était de 2,3 % en Allemagne, soit moins qu’en Espagne (+3,3 %) et cela malgré un chômage de plus de 18 %.

L’Allemagne thésaurise ses excédents avec une épargne qui demeure élevée et qui s’investit dans des produits sans risque. L’investissement des entreprises y est peu dynamique bien que le niveau de profitabilité des entreprises soit élevé.  Les gains de productivité y sont par ailleurs très faibles. Du 1er trimestre 2008 au 4e trimestre 2016, les gains de productivité cumulés ont été de 0,3 % en Allemagne, de 2,4 % en France et de 8,5 % aux États-Unis (source AG2R LA MONDIALE – Bloomberg).

La force de l’Allemagne repose sur la forte compétitivité non-coût de sa production (qualité, niveau de gamme) qui lui permet de gagner des parts de marché. Elle bénéficie de la politique monétaire de la  BCE qui contribue à déprécier de l’euro, dépréciation accentuée par les difficultés des autres États membres. Le vieillissement de la population pèse sur la demande interne. L’arrivée des réfugiés n’a pas pour le moment eu un effet important sur la consommation du fait de leur faible pouvoir d’achat.

Le prix de la sortie de la zone euro serait élevé voire très élevé. La Grèce a refusé l’aventure de la sortie en 2015 par crainte d’être immédiatement en situation de banqueroute. La sortie d’un grand État comme la France ou l’Italie mettrait en danger l’ensemble de la zone. Passer d’une monnaie commune à 300 millions d’habitants à une monnaie  échangée par 67 millions de personnes n’est pas anodin. Il y aurait un jeu de dominos. En cas de sortie, par exemple, de l’Italie, les banques françaises ayant fortement investi dans ce pays seraient fragilisées ce qui aurait des répercussions sur l’ensemble du secteur financier. Le retour des contrôles de changes voire de l’encadrement du crédit nuirait aux échanges et à l’investissement. Le pouvoir d’achat des ménages serait amputé par l’augmentation des prix des produits importés. Par ailleurs, la hausse des taux d’intérêt pourrait provoquer une crise immobilière. Certes, pour atténuer cette série de chocs, les banques centrales seraient appelées à financer les déficits et à racheter les dettes mais cela n’est pas sans limite. Par ailleurs, pour des pays déficitaires commercialement comme la France et en cas de fuite des capitaux, une crise de liquidité pourrait intervenir.

La zone euro est aujourd’hui à la peine en partie en raison des craintes qu’elle inspire aux investisseurs. La faible croissance, le taux de chômage élevé, la faible progression du pouvoir d’achat ne sont pas sans lien avec la montée des votes contestataires. Les solutions sont éminemment politiques et supposent une plus grande coopération entre les États membres.

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