Gouverner la France n’a jamais été une sinécure !
Depuis 1949, l’Allemagne a connu huit Chanceliers quand en France plus de soixante gouvernements se sont succédé. Comme l’écrivait Prévost-Paradol, « La Révolution française a fondé une société mais elle cherche encore son gouvernement ».
La difficulté de gouverner n’est pas nouvelle en France. Elle est intrinsèque au pays. Elle est même une marque de fabrique. La IIIe République a ainsi créé la légende des Gaulois battus par les Romains en raison de leurs divisions.
Les crises dynastiques, les trahisons, les putschs, les assassinats furent légions après la Révolution française comme jadis au temps des rois. Le rapport au pouvoir a toujours été complexe. La légitimité du pouvoir central a toujours été fragile. Les périodes de stabilité sont rares et courtes. A toutes les époques, dans notre pays, il est de bon ton de dénigrer et de calomnier les dirigeants. La nécessité de critiquer les prédécesseurs est également une tradition. Le concept de rupture, de table rase a toujours eu cours et cela sous tous les régimes.
Au Moyen Âge, les commentateurs qualifièrent ainsi toute une série de rois mérovingiens de « Rois fainéants », c’est à dire des rois qui ne font rien. Cette période court de 639 à 751. Elle est marquée par des règnes parfois brefs de souverains souvent très jeunes devant faire face à de nombreuses querelles de succession. L’appellation de rois fainéants est attribuée au biographe de Charlemagne, Eginhard. Elle servait à légitimer la prise de pouvoir par les carolingiens en dénigrant les mérovingiens. Il a écrit sur ce sujet que ces derniers « n’avaient plus de rois que le nom, n’ayant accompli aucune réforme d’importance au cours de leurs règnes ». Ce terme de roi fainéant fut également attribué à Louis V, dernier des rois carolingiens en France qui régna un an de 986 à 987. Dans les faits, l’épithète fainéant apparaît plutôt comme la conséquence de l’instabilité à la tête du Royaume.
La guerre de cent ans faillit voire la disparition de la France. De 1336 à 1475, le pays a été tout à la fois envahi par les Britanniques et en proie à d’importantes divisions. Cette guerre met en présence le Royaume de France et celui d’Angleterre mais c’est aussi une crise dynastique et sociale. Les campagnes ont subi durant ces cent longues années des chevauchées destructrices de la part des différentes armées les sillonnant. Les brigandages et l’insécurité ont marqué cette époque.
Cent dix ans après la fin de cette guerre, la France entre, à nouveau, dans une nouvelle période d’instabilité. En durant 36 ans, les guerres de religion (huit au total) mirent en danger l’unité du Royaume. L’opposition entre catholiques et protestants est tout à la fois une question de foi mais aussi une question de pouvoir politique. Ces guerres civiles plus ou moins attisées par les puissances étrangères voisines interviennent au moment où l’autorité royale est de plus en plus contestée. Quand Henri II meurt accidentellement le 10 juillet 1559, ses successeurs François II puis Charles IX sont trop jeunes pour pouvoir s’imposer. Ils ne peuvent pas empêcher les Français de s’entre-déchirer. Entre les deux camps belligérants, la reine-mère Catherine de Médicis hésite entre tolérance religieuse et répression, ce qui ne fait qu’accentuer les tensions. Les Princes reprennent le contrôle de leur territoire et s’affranchissent de la tutelle royale. L’appel aux États Généraux est le symbole de la faiblesse des Rois qui tentent de consolider leur pouvoir en s’appuyant sur le clergé et sur la petite noblesse. Face à la menace espagnole, Henri IV réussit à remettre de l’ordre dans le pays en se convertissant au catholicisme, et cela jusqu’à la Fronde. La huitième guerre de religion prend fin en 1598.
50 ans après l’édit de Nantes, la France est une fois de plus menacée par la guerre civile. La fronde entre 1648 et 1653 met en présence les grands Princes de sang qui tentent de remettre en cause le pouvoir du Roi de France. Elle est aussi une crise sociale en raison des difficultés alimentaires et pécuniaires que rencontrent la population. La fronde trouve sa source dans la crise économique et l’augmentation de la pression fiscale en vue de faire face aux dépenses de la guerre de Trente Ans. Les dépenses de l’État ont été multipliées par cinq entre 1600 et 1650, quintuplement faisant suite à leur doublement entre 1515 et 1600. L’espoir de baisse de la pression fiscale, promise par la régente Anne d’Autriche après la mort de Louis XIII, s’est évanoui. La fronde prit fin avec l’avènement de la majorité de Louis XIV. Ce dernier conserva en mémoire qu’il dut fuir Paris en peine nuit pour se réfugier dans le château de Saint-Germain-en-Laye qui n’était pas chauffé et dormir sur la paille. Cette expérience l’amena à se méfier de Paris. La construction du Château de Versailles est également une réponse à la fronde. Le monarque a voulu prouver aux nobles la toute-puissance du pouvoir central. Il a voulu les obliger à loger au château pour mieux les contrôler. Il les a asservis avec l’émergence du phénomène de cour que la France n’a jamais abandonnée depuis.
Le système de la monarchie absolue a fonctionné tant que le Roi pouvait distribuer des prébendes. Les difficultés budgétaires sous Louis XVI débouchèrent sur une instabilité ministérielle. L’incapacité à mener à leur terme les réformes du fait de l’absence de consensus, en particulier, chez les nobles, ainsi que la déconnexion de la Cour royale de la vie réelle du pays favorisèrent l’avènement de la Révolution.
De 1789 à 1815, la France s’essaya à la monarchie constitutionnelle, à la République, au régime d’assemblée, au directoire, au Consulat et à l’Empire. Les gouvernements comme les têtes tombèrent à un rythme soutenu sur fond de crise financière et de guerres internes et externes.
En 1815 et jusqu’en 1848, les monarchies d’Europe imposèrent la restauration afin de mettre un terme à l’esprit révolutionnaire et de conquête de la France. Cela n’empêcha pas les troubles comme durant les Trois Glorieuses de juillet 1830 qui ont abouti au remplacement de Charles X par Louis Philippe avec l’aval des puissances étrangères informées par l’inévitable Talleyrand. Durant la Restauration, la stabilité est toute relative, les tensions avec les assemblées s’ajoutant aux intrigues royales.
Au cours la IIe République qui a duré quatre ans, huit gouvernements se succédèrent. Sous le Second Empire, la stabilité s’est imposée avec quatre gouvernements, ce qui n’empêchât pas des ajustements au fil de l’eau, avec plus de trente remaniements ministériels sur la période.
La IIIe République qui demeure le plus long régime depuis la Révolution a compté 102 gouvernements durant les 65 années de son existence. Avec la IVe République, face aux problèmes de la décolonisation, la ronde des gouvernements s’accélère. La durée de vie moyenne est alors de 6 mois. Si 1958 marque une rupture, au fil des années, la Ve République n’échappe pas à l’instabilité. Entre 1958 à 2007, cinq Présidents se succèdent, mais lors de ces douze dernières années, aucun Président n’a été reconduit conduisant à trois alternances successives. En outre au-delà de la relative stabilité présidentielle, l’instabilité est demeurée importante au niveau des gouvernements. Quand en Allemagne, un gouvernement dure le temps d’une mandature, en France, les changements sont incessants. 23 Premiers Ministres et 43 gouvernements se sont succédé depuis 1958. Le Gouvernement de Lionel Jospin a été le plus long de la Ve République, avant tout du fait de la cohabitation complexe avec le Président Jacques Chirac. En outre, de nombreux changements de ministres interviennent au fil de l’eau. Depuis 1997, la France a compté 15 ministres de l’économie différents quand l’Allemagne n’en a connu que 9. Si le Parlement en France a perdu son rôle de faiseur de roi, les élections nationales et locales ainsi que les affaires et la presse ont, ces dernières années, accentué le « turn over » ministériel. La pression médiatique, le rôle des sondages et toujours les phénomènes de cours rendent l’exercice du pouvoir de plus en plus délicat. Cette instabilité n’est pas spécifique à la France. L’Italie en est habituée. Avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, aux États-Unis non plus la stabilité n’est plus de mise au niveau des secrétaires d’État.
L’impopularité du pouvoir n’est pas un phénomène nouveau en France. Des jacqueries aux « gilets jaunes » en passant par les ligues, le boulangisme, le poujadisme, ou bien encore les bonnets rouges, la liste est longue des mouvements ayant contesté la légitimité du pouvoir ou de ses décisions est longue. Sous la Ve République, de la fin de la guerre d’Algérie à 2002, la France a connu une période de relative tranquillité marquée néanmoins par Mai 1968. Les conflits étaient avant tout sociaux (les mineurs, la sidérurgie, les transports, les agriculteurs). Ils ne dégénéraient pas en crise politique comme sous les régimes précédents. Depuis 15 ans, les changements économiques et sociaux ainsi que les crises ont contribué à une segmentation accrue du pays. L’unité nationale déjà mise à mal lors des référendums sur le traité de Maastricht en 1992 et le Traité constitutionnel en 2005 est de plus en plus délicate à réaliser. Les oppositions se multiplient : la province contre Paris, le monde rural contre les métropoles, les banlieues contre tout le reste du pays, les retraités contre les actifs et inversement, les pauvres contre les riches, les classes moyennes contre les riches et les pauvres, les « écolos » contre les usagers de la voiture, etc. Cette fragmentation rend complexe l’élaboration d’une politique acceptable par une majorité. Les gouvernements ont opté pour l’impressionnisme en superposant des politiques pouvant plaire aux uns et autres au point de rendre l’ensemble illisible. L’accumulation de décisions contradictoires génère un scepticisme croissant dans l’opinion publique qui surinformée réagit en temps réel et de manière passionnée. Le populisme est la conséquence de la segmentation de la population. Les mots, les symboles comptent plus que les actes avec comme conséquence et risque majeur le fait que le populisme nourrisse le populisme. Aux États-Unis, Donald Trump a compris les ressorts de l’électorat américain en jouant sur la corde sensible du nationalisme et de l’isolationnisme. Preuve que les hommes font leur histoire mais ne savent pas l’histoire qu’ils font.
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