France, Allemagne ! Si proche, si loin !
Pourquoi les situations économiques sont-elles si différentes de part et d’autre du Rhin ? Le plein emploi et des excédents commerciaux et budgétaires d’un côté, des déficits et du chômage de l’autre. L’analyse des coûts de production ne permet pas réellement d’expliquer un tel écart entre les deux pays. Le niveau des prélèvements obligatoires fréquemment mis en avant n’est pas non plus un facteur explicatif totalement pertinent. En effet, certains prélèvements considérés comme obligatoires en France, comme ceux liés aux complémentaires « retraite », ne le sont pas en Allemagne.
Au-delà des données économiques, des facteurs sociologiques doivent être pris en compte pour comprendre la divergence des deux États. La France et l’Allemagne sont deux nations qui se distinguent sur le mode d’organisation et de fonctionnement de la société.
L’Allemagne n’a pas le même culte de l’État que la France. Unifiée tardivement en 1870 par le chancelier Bismarck et traumatisée par la dictature hitlérienne, elle est profondément attachée à structure fédérale qui, en 1949, lui a été imposée par les États-Unis. Les Allemands s’identifient à leur Land ou même plus plutôt à leur Kreise (arrondissement réunissant une à plusieurs villes). À la différence de la France qui, en 1791, décide de mettre à bas, les structures intermédiaires dites corporatistes, la solidarité, en Allemagne, s’est construite autour des églises, des professions et des communes. En France, la loi Chapelier de 1791 a interdit la création de syndicats de salariés et de mutuelles ainsi que le droit de grèves. Par ailleurs, le décret Allarde des 2 et 17 mars 1791 en supprimant les corporations a freiné l’émergence d’un système de protection sociale. Il faut attendre le 25 mai 1864 sous le Second Empire afin que la loi dite Ollivier supprime les délits de coalition et de grève. En Allemagne, au contraire, pour favoriser l’unification du pays, le chancelier Bismarck développe un système d’assurance sociale à partir des entreprises.
L’Allemagne est un pays éminemment horizontal quand la France est verticale. La première met en avant le consensus quand la seconde repose sur un système pyramidal. De la Fronde à la Ve République, la route n’a pas toujours été rectiligne mais la direction est au finale la même. Pour lutter contre les seigneurs de province et afin de mener ses campagnes militaires, Louis XIV a développé un système administratif centralisé en ayant recours à des bourgeois ou à des nobles de moindre naissance. Toujours pour des raisons également militaires et de sécurité intérieure, Napoléon a amplifié ce mouvement avec un savant découpage du territoire et la nomination de représentant de l’État à travers les personnes des préfets et des sous-préfets. Cette structure d’organisation n’a pas été supprimée par la IIIe ni la IVe Républiques. La constitution de 1958 conforta la tradition jacobine française. La Sécurité sociale à la française se veut d’inspiration bismarckienne mais l’État a joué dès le départ un rôle important, rôle qui ne cesse de s’accroître. Compte tenu du poids de la protection sociale et de la succession des crises, les gouvernements se sont immiscés de plus en plus fortement dans la direction et la gestion de la Sécurité sociale.
Même si le chancelier allemand dispose d’une forte légitimité, il n’en demeure pas moins que l’échelon fédéral dispose de moins de pouvoirs que l’État central français. L’atout du premier provient de la forte stabilité des équipes au pouvoir. Depuis 1949. Seulement huit chanceliers se sont succédé pour la République Fédérale d’Allemagne. De 1949 à 1958, la France a compté plus de 30 gouvernements. Depuis 1958, notre pays a connu 8 Présidents de la République (sans compter les intérims d’Alain Poher en 1969 et 1974) et 23 Premiers Ministres.
L’Allemagne et la France diffèrent au niveau institutionnel mais aussi en ce qui concerne leur rapport au social et à l’emploi. Si au sein des deux pays, la notion de justice sociale joue un rôle capital, elle n’a pas la même signification. En Allemagne, elle est associée au principe d’équité des chances quand en France elle renvoie à celle d’égalité de traitement. Ces visions différentes modèlent la conception des deux sociétés, du système d’éducation et de formation au marché du travail en passant par l’intégration des immigrés ou des réfugiés et les prestations sociales. Les principes de droits/devoirs imprègnent la société allemande quand, en France, la notion de droit l’emporte. Chez notre voisin, le principe de liberté a pour limite la responsabilité et non la liberté d’autrui. Ce couple de liberté/responsabilité se retrouve dans le principe constitutionnel « la propriété oblige » (article 14 de la Loi Fondamentale « Propriété oblige. Son usage doit contribuer en même temps au bien de la collectivité ». Il a conduit à la mise en place de la « mitbestimmung », du droit de la co-décision, et celui de la co-gestion reconnu aux salariés.
L’équité des chances à l’Allemande n’est pas sans lien avec le principe de subsidiarité en vertu duquel il convient de maintenir les centres de décisions au niveau le plus près des citoyens tant qu’il n’est pas prouvé que les niveaux supérieurs puissent faire mieux. Par application de ce principe, « chacun est l’artisan de son propre destin ». L’intervention publique ne devient nécessaire qu’à partir du moment où l’individu a fourni la preuve de son incapacité à trouver individuellement une solution à son problème. La solidarité commence au niveau familial, local, régional puis au niveau national. En 2003, Gerhard Schröder a réussi à obtenir l’adoption de plusieurs grandes réformes en s’appuyant sur ces notions de responsabilités et d’équité des chances. Au tournant du XXe siècle, l’Allemagne enregistrait des taux de croissance inférieurs à la moyenne européenne et connaissait, en raison de l’intégration de la RDA, une montée de son chômage. Les quatre lois Hartz entrées en vigueur entre 2003 et 2005 ont mis l’accent sur la responsabilité individuelle pour améliorer l’adéquation entre offre et demande d’emplois. La loi Hartz I allège la réglementation sur le travail intérimaire, assouplit le droit des licenciements et oblige tout salarié à s’inscrire en tant que demandeur d’emploi dès qu’il apprend qu’il est mis un terme à son contrat de travail. Les obligations de formation ont été renforcées. Par ailleurs, la loi incite tout demandeur d’emploi à accepter toute proposition de poste dès que celle-ci est « acceptable » ou « raisonnable ». La loi Hartz II a institué l’équivalent d’un statut d’auto-entrepreneur rebaptisé « mini-job ». La loi Hartz III a réformé l’assurance-chômage en libéralisant le marché du placement. Cette loi précise les droits et les devoirs des demandeurs d’emploi en insistant sur la notion d’effort à accomplir. La durée des indemnités a été réduite à 12 mois sauf pour les salariés de plus de 50 ans pour lesquelles elle est de 24 mois. La loi Hartz IV réforme les régimes d’assistance-prévoyance. Elle est centrée sur l’employabilité des demandeurs d’emploi. Le versement des allocations est soumis à des conditions de ressources et est accompagné d’un programme de qualification et de réinsertion. Un des objectifs de la loi était de « renforcer la responsabilité individuelle des personnes nécessiteuses à capacité de travail entière ». La commission en charge d’effectuer le bilan des lois Hartz a souligné que les objectifs avaient été atteints en terme d’emplois, le taux de chômage étant passé en-dessous de 5 %. Par ailleurs, le nombre d’actifs occupés est au plus haut pour atteindre 44 millions.
Les lois Hartz sont accusées d’avoir accru le taux de pauvreté et d’avoir pesé sur le montant des salaires. Les taux de pauvreté a certes augmenté mais de manière très limitée. Certes, la France obtient un meilleur résultat mais au prix d’un effort social beaucoup plus important et avec un taux de chômage deux fois plus important. La montée de la précarité est avant tout la conséquence de la tertiarisation de la société avec la montée en puissance de services offrant des emplois à faibles qualifications.
L’importance de la valeur travail comme facteur d’inclusion dans la société passe par l’éducation et par le rôle joué par les entreprises.
En France, le système éducatif est une construction de l’État, l’école de la République laïque contre l’école catholique et royaliste. Comme pour l’organisation du territoire, l’éducation est organisée de manière pyramidale, avec le Ministère et ses recteurs. Le système a eu longtemps comme vocation d’amener au service de l’État les meilleurs élèves (Polytechnique, Normale Sup puis plus tard l’ENA). La culture générale, les connaissances, la capacité à construire des raisonnements sont au cœur de l’enseignement délivrés aux élèves. Ce système fréquemment critiqué est envié par des responsables étrangers et notamment allemands. Ils jugent la qualité de notre administration bien souvent supérieure à la leur.
Le système allemand de formation est conçu pour ménager les transitions éducation / formation / emploi. L’apprentissage fait partie intégrale des filières. Près d’un jeune Allemand sur deux opte pour cette voie. L’apprentissage est un système dual comprenant l’école professionnelle gérée par le public (Länder) et l’entreprise formatrice. Les pouvoirs publics ne fixent pas les programmes, les contenus et les conditions matérielles de la formation. Ils élaborent un simple cadre. Ce modèle entraîne quelques tensions. Ainsi, de plus en plus d’entreprises jugent que l’apprentissage leur coûte cher et qu’il est de plus en plus difficile de former des jeunes compte-tenu de l’évolution des techniques et des connaissances. La contestation provient des PME qui forment 80 % des apprentis.
La formation continue constitue une autre des spécificités allemandes. Compte tenu de leur expérience dans l’apprentissage, les entreprises maintiennent un niveau important de formation durant toute la vie professionnelle. Ainsi, en 2009, en pleine récession, l’entreprise Trumpf spécialisé dans la fabrication de machines-outils face à des carnets de commande vides a engagé un processus de formation de ses salariés afin de créer une unité de production de plateaux techniques pour établissements de santé. Ce choix a permis de conserver l’ensemble des salariés et de créer une nouvelle entité au sein de l’entreprise. Les salariés ont accepté de changer de métiers et de réduire leurs primes durant la phase de formation.
L’emploi est considéré, Outre-Rhin, comme un élément de citoyenneté. Au-delà des revenus, il est une source d’identité sociale. La nomination du Président de l’Agence fédérale pour l’Emploi à la tête de l’Office fédérale pour les migrations et les réfugiés, qui cumulera ces deux postes, souligne que l’intégration passe par l’emploi.
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