Des épargnants qui épargnent, c’est bien là le problème
Des épargnants qui épargnent, c’est bien là le problème. Les faibles taux d’intérêt que nous connaissons depuis plus de 2 ans trouvent leur origine dans les politiques monétaires accommodantes, dans la faible inflation, dans la baisse des gains de productivité mais aussi, et surtout, dans le vieillissement de la population qui pèse sur l’investissement et accroît l’épargne.
Une affaire de banques centrales
Les politiques monétaires non conventionnelles n’avaient pas vocation à devenir la norme. Or, elles sont aujourd’hui la règle tout autour de la planète. La décision, le 21 septembre dernier, de la Réserve fédérale américaine de maintenir son objectif de taux d’intérêt au jour le jour à 0,25-0,5 % a souligné qu’il était difficile de remonter les taux. En effet, après avoir relevé la cible pour la première fois en dix ans fin 2015, la FED trouve chaque mois de bonnes excuses pour reporter la deuxième augmentation.
De son côté, la Banque du Japon (BoJ) n’a pas d’autres solutions que de poursuivre et d’amplifier sa politique non conventionnelle avec comme objectif toujours celui de faire remonter le taux d’inflation à 2 %. La banque centrale nippone est ainsi contrainte de porter ses achats d’obligations à 800 milliards de dollars par an. De ce fait, les rendements à 10 ans des obligations devraient rester encore longtemps proches du zéro.
Les taux bas pratiqués de la Banque Centrale Européenne (BCE) et de plusieurs autres banques centrales de pays européens de pratiquer des taux négatifs pour les dépôts se sont propagés aux marchés financiers. Après les Etats qui empruntent à taux négatifs, c’est le tour des grandes entreprises. Ainsi, Sanofi et Henkel ont émis des obligations en euros avec un rendement négatif.
Les emprunteurs gagnent de l’argent quand les épargnants en perdent. Or, au sein des pays avancés, du fait du vieillissement, les épargnants qui s’endettent sont plus nombreux que les investisseurs. L’effet économique des politiques monétaires non conventionnelles doit prendre en compte tout à la fois les gains générés par la baisse des taux pour les emprunteurs et la perte de revenus issus des placements.
Certes, la pratique des taux réels négatifs n’est pas un phénomène nouveau. Après la Seconde Guerre Mondiale et dans les années 70 et 80, l’inflation était fréquemment supérieure aux taux nominaux. En revanche, l’existence de taux nominaux négatifs est une nouveauté. Dans ce dernier cas, plus d’illusion monétaire, la vérité des prix s’impose à tous. Avec des taux à dix ans avoisinant 0,5 % pour une OAT, ce qui est étonnant, c’est que les investisseurs font le pari d’une absence de remontée de l’inflation.
Des forces structurelles pèsent sur les taux
Les taux d’intérêt glissent à la baisse depuis une quinzaine d’année. Les politiques des banques centrales n’ont fait qu’accentuer cette tendance. Cette diminution trouve ses origines dans l’excès d’épargne. Les agents économiques empruntent quand ils sont en phase de maturité, entre 30 et 45 ans. Or, du fait du baby-boom de l’après seconde guerre mondiale, le pic pour les 30/45 ans a été atteint, au sein des pays avancés entre 1980 et 2000. Aujourd’hui, il y a un reflux relatif au profit des plus de 65 ans. Or, les besoins de logement, d’équipement sont les plus importants entre 30 et 45 ans au moment où les familles se forment et où les enfants arrivent. En outre, l’investissement a été également porté par la multiplication des divorces. Avec le vieillissement de la population, l’investissement en logements est amené à se contracter.
Compte tenu de l’allongement de l’espérance de vie, les ménages sont conduits à accroître leur effort d’épargne afin de préparer leur retraite. La crise de 2008 / 2009 a accentué l’aversion aux risques. La soudaineté et la violence de la crise ont incité les investisseurs à privilégier les placements les plus sûrs. De ce fait, en choisissant les obligations d’Etat, ils ont favorisé la baisse de leur rendement. Jugée a priori impossible, la crise de 2008 a conduit les investisseurs à revoir leur grille de risques avec comme conséquence une plus grande frilosité.
L’excès d’épargne a été occasionné par le développement rapide de la Chine. Les ménages chinois ont très rapidement constitué un patrimoine leur permettant de préparer leur future retraite dans un pays dont le système d’assurance-vieillesse était peu développé. Compte tenu de la taille de la population, cet effort d’épargne, en moyenne 40 % du revenu disponible brut, ne pouvait pas être sans incidence sur les équilibres financiers mondiaux. La Chine est, en outre, de plus en plus intégrée dans l’économie mondiale.
La croissance de ces vingt dernières s’est accompagnée d’une montée des inégalités. La distribution non optimale des revenus aboutit à augmenter les capacités d’épargne des plus riches quand elle limite le pouvoir de consommation des plus pauvres.
D’autres estiment que la baisse des taux d’intérêt réels n’est que la traduction d’une érosion de la croissance potentielle, érosion déjà présente avant la crise mais qui s’est accélérée depuis. Pour Larry Summers de l’Université de Harvard, cette «stagnation séculaire» est une conséquence d’un déficit chronique de la demande. Robert Gordon de l’Université Northwestern estime que le problème réside dans l’offre de l’économie. Les nouvelles technologies numériques et les robots ne génèrent pas de gains de productivité. Depuis le tournant du siècle, ces derniers baissent dans les pays avancés. Cette baisse concerne depuis peu les pays émergents. Certains économistes considèrent que les nouvelles innovations ne pourront pas concurrencer l’électricité, l’automobile, la pétrochimie, le téléphone voire la plomberie intérieure au niveau des gains de productivité. Les taux d’intérêt qui sont la combinaison des taux de croissance et d’inflation anticipés ne peuvent que diminuer. Selon, une étude réalisée par Mervyn King, un ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, et David Low, professeurs de l’Université de New York, les taux d’intérêt réels pour les pays du G7, hors Italie, en utilisant ces données remontant au milieu des années 1980 seraient en baisse depuis ces 20 dernières années. Entre 1980 et 2008-09, les taux réels à long terme seraient passés de 4 % à environ 2%. Depuis le début de 2008, ils seraient passés de 2 % à environ -0,5 %.
L’économie digitale est moins consommatrice de capitaux que celle du 19ème ou du 20ème siècle qui reposait sur les chemins de fer, la sidérurgie, l’électricité, etc. Cette économie à coûts marginaux nuls ou quasi-nuls sature et use peu les équipements. Elle n’est pas créatrice d’inflation. Il y a moins besoin d’épargne au moment même où celle-ci est plus abondante. L’économie digitale est très volatile car nouvelle. L’économie digitale génère quelques rentes de situation, beaucoup d’illusions et de désillusions. De ce fait, l’épargnant opte pour des placements sans risque.
En fait, la relation historique entre les taux d’intérêt réels et la croissance économique est faible. Selon une étude récente menée par James Hamilton de l’Université de Californie à San Diego, la corrélation entre la croissance du PIB et le taux d’intérêt réel à court terme dans les sept derniers cycles économiques les plus récents en Amérique n’est pas évidente.
Perplexité sur la fixation des taux
Compte tenu de l’absence d’inflation et de la faiblesse de la croissance potentielle, les banques centrales ont raison de maintenir le plus bas possibles les taux nominaux. Dans un certain nombre de pays, en Italie, par exemple, les taux seraient encore trop hauts pour permettre une reprise de l’économie.
Pour d’autres, le maintien des taux négatifs est suicidaire. L’économie mondiale n’est pas en déflation. La croissance des pays avancés est faible mais reste positive. Les taux bas permettent simplement aux Etats de différer les réformes nécessaires pour l’assainissement de leurs comptes. Il est irrationnel que l’Italie puisse s’endetter à moindre coût que l’Australie dont la dette est nettement inférieure. Les rendements de l’Italie sont évidemment faussés par les programmes d’achats d’obligations de la BCE. De même, les derniers résultats en matière de crédits démontrent que les entreprises européennes ne se précipitent pas pour investir. L’absence de perspectives économiques positives avec l’idée d’une demande fragile et d’une concurrence de plus en plus sévère incite à l’extrême prudence. L’heure est plus à la renégociation de prêts qu’à l’aventure. De leur côté, les ménages maintiennent voire augmentent leur effort d’épargne par effet d’encaisse. Les épargnants ont un niveau d’épargne cible à l’esprit et compensent la baisse des rendements en mettant plus d’argent de côté. Certes, aujourd’hui, ils profitent de la revalorisation des obligations émises dans le passé assortis de taux supérieurs à ceux en vigueur pour les nouvelles obligations. Mais, cet effet de valorisation s’estompera dans les prochaines années.
Les fonds de pension seront amenés à augmenter le montant des cotisations pour pouvoir maintenir le niveau des pensions ; ce qui conduit également à une augmentation de l’effort d’épargne.
Les règles prudentielles applicables notamment aux compagnies d’assurances les poussent à acquérir plus d’obligations amenant encore une nouvelle fois à une baisse des taux. Il y a en la matière un véritable cercle vicieux car elles doivent d’autant plus renforcer leurs fonds propres que la menace d’un choc obligataire se fait jour ; or ce renforcement passe avant tout par l’achat d’obligations. Tout concourt à ce que les faibles taux engendrent des taux bas. Une étude réalisée par Dietrich Domanski, Hyun Song Shin et Vladyslav Sushko de la Banque des règlements internationaux souligne que la baisse des rendements a conduit les assureurs allemands à acheter plus d’obligations en 2014, 80 milliards d’euros contre 60 milliards d’euros initialement prévus.
Certains imaginent que les cessions d’actifs dans les prochaines années pour payer notamment les dépenses de retraite pourraient conduire à une hausse des taux d’intérêt ; les épargnants seraient alors moins nombreux. Or, faute de s’être désendettés, les Etats ne pourraient pas supporter une telle hausse contraignant une fois de plus les banques centrales à poursuivre leurs programmes d’achats d’obligations (rapport de Genève, Takatoshi Ito de l’Université Columbia).
Face aux multiples interrogations que génèrent les politiques monétaires non-conventionnelles, de plus en plus d’économistes en reviennent aux politiques budgétaires accommodantes. En jouant sur la dépense publique et sur les déficits, ils espèrent tout à la fois le retour de l’inflation, des taux d’intérêt réels positifs et de la croissance comme durant les années 60/80.
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