De l’organisation à la croissance
La croissance européenne patine depuis de nombreuses années du fait de son faible taux d’emploi, de la faiblesse de sa recherche/développement, du manque d’intégration de son marché intérieur et de l’incapacité de mettre en place des institutions modernes. Ce qui prévaut pour l’Europe vaut également pour la France.
Le schéma d’organisation institutionnelle comme celui des entreprises est peu en phase avec le développement d’une société en réseaux. Les différentes lois de décentralisation n’ont pas permis de mettre un frein à la tentation centralisatrice et pyramidale. Elles ont abouti à complexifier le paysage institutionnel en diluant les responsabilités et en générant des surcoûts.
Les communes, les groupements de communes, les départements, les régions, les pays… ont imité l’Etat avec la création d’administrations qui auto-justifient leur bien-fondé.
Le système vertical administratif a colonisé l’ensemble des structures d’autant plus facilement que les entreprises françaises sont dirigés par les anciens élèves des grandes écoles dont l’ENA et Polytechnique. Ils ont reproduit ce qu’ils avaient appris tout en y mêlant les techniques de rationalisation anglo-saxonnes.
Les grandes entreprises françaises sont tout à la fois matricielles et pyramidales. L’autorité s’est diluée comme celle de l’Etat avec la montée en puissance des collectivités locales et les autorités administratives indépendantes. Les équipes de travail, les services ont été remplacés par des équipes de projets ou de missions. La chasse au petit chef a abouti à la création de structures en râteau ou plutôt en matrice sur laquelle chacun coulisse au gré des exigences de directions logiquement plus proches mais pas forcément accessibles.
Les Français ont plutôt bien intégré les nouvelles techniques de l’information et de la communication mais son utilisation reste très verticale. L’échange collaboratif reste limité. Les salariés ne peuvent que rarement avoir une vue à 360 degrés de leur poste et avoir une vision globale de leur entreprise. Le droit à l’initiative est encore très cantonné.
Ce mode d’organisation ne permet pas de valoriser les capacités des actifs dont le niveau de formation s’est accru fortement en vingt ans. Un tel mode n’est pas un obstacle dans les pays émergents car ils sont dans une phase de montée en puissance en matière d’offre. En revanche, cela est très pénalisant dans des pays où la croissance repose et reposera de plus en plus sur la création, la recherche…
La Chine connaîtra les mêmes affres que la France. Elle sera déjà d’ici moins de 10 ans confrontée au problème du vieillissement ; sa population active commencera à diminuer dès 2015. Par ailleurs, du fait de sa croissance à deux chiffres, ce pays devra également passer d’un mode de développement militaro-administratif à un mode de développement créatif. La force des Etats-Unis a toujours été d’associe rigueur de l’organisation avec une capacité d’innovation, de remise en question permanente. La Chine pourra-t-elle sortir de son mode de développement actuel. Le Japon qui était la star des années quatre-vingt est englué dans une stagnation depuis de plus de vingt ans du fait du vieillissement et d’un rapport à l’autorité trop prononcé. La Chine devra surmonter des goulets d’étranglements bien plus délicats. Capitaliste et communiste, elle devra, dans les prochaines années, être moins communiste et plus libéral pour continuer de poursuivre sa course en tête faute de quoi elle pourrait bien connaître un réel marasme. L’économie mondiale a survécu à la stagnation japonaise ; elle sera certainement plus touchée par celui de l’économie chinoise car tous les pays industrialisés sont devenus sino-dépendants. La Chine peut désormais fixer les produits sur certains biens car elle a éliminé la concurrence mais cela ne garantit pas qu’elle soit le catalyseur de la croissance de demain d’autant plus qu’elle est vouée à connaître une pénurie en matière d’offre de travail.
La France et l’Europe doivent se réinventer.
Les difficultés de l’Europe pour adopter une nouvelle constitution qui a mobilisé l’énergie des Etats membres durant plusieurs années jusqu’à la ratification ratée de la France ainsi que le difficile règlement de la crise grecque traduit bien l’affadissement de l’idéal européen ou plutôt de son incapacité à se régénérer. Le temps de l’après guerre, de la réconciliation avec l’Allemagne, de la reconstruction est achevée, tout comme celle de la chute du rideau de fer ; or l’Europe semble toujours vouloir ignorer que l’histoire a continué à rouler. La communauté de destin s’effrite car il n’y a plus de projet commun. Les solidarités se fragilisent car les intérêts s’aiguisent quand la croissance se fait faible.
La France, depuis près de 30 ans, renâcle à participer à l’aventure de l’économie mondiale. Les Français ont sanctifié l’esprit de mai 1968 alors qu’ils étaient peu nombreux à y participer il y plus de 40 ans. L’ère des temps mauvais semble inspirer le pays avec la participation d’un représentant d’extrême droite au second tour de l’élection présidentielle de 2002 et l’existence de partis d’extrême gauche faisant plus de 10 % des voix aux élections. La France broie du noir ; les Français égalitaristes ou plutôt jaloux en diables ne supportent plus celui ou ceux qui ont un peu plus qu’eux. Les hommes de pouvoir tout comme les dirigeants d’entreprise sont honnis. Les joueurs de football sont également transformés en punching-ball des frustrations accumulées.
On lèche, on lâche et on lynche tel est le nouveau slogan qui caractérise le pays. Après le temps de l’encensement, il y a le temps de la suspicion et puis vient celui de la haine. Les riches ne sont pas perçues comme des créateurs de richesse mais comme des nantis vivant sur le dos des pauvres travailleurs. Le bouclier fiscal n’est pas un symbole d’équité fiscal visant à éviter le départ des Français les plus talentueux ; bien au contraire, il s’est transformé en symbole d’une société à deux vitesses, de ceux auxquels l’Etat rembourse une partie des impôts car ils sont riches. Nul ne veut savoir combien ils ont payé d’impôt, ni même combien ils ont rapporté à leur pays… Ils sont riches, ils doivent donc raquer.
Au-delà du lynchage médiatique permanent, les parents voudraient que leurs enfants deviennent fonctionnaires, sportifs de haut niveau ou enfants de la télé…
Société bloquée moins qu’il n’est dit tout comme elle est une des moins inégalitaires d’Occident, la société française est rongée par le manque de destin commun. Elle est à l’unisson de l’Europe mais avec comme spécificité un goût prononcé pour l’autodépréciation ou l’autodénigrement. Il y a une tentation de la chute chez les Français qui se traduit par des phases de déclin plus ou moins longue. Il en fut ainsi dans les années trente. Bien souvent, malheureusement, la sortie du marasme intellectuel passe par un homme providentiel, un grand Roi, les deux Napoléon, Clémenceau, le Général de Gaulle. Le caractère pyramidal de la France hérité de l’époque de la monarchie absolue permet difficilement à la démocratie de s’épanouir en toute tranquillité.
A défaut de souhaiter le retour à un régime autoritaire, force est de constater que le parlementarisme et ses travers ont depuis 1995 repris leurs quartiers. La présidentialisation du régime est plus médiatique que réelle. Le parallélisme avec les Etats-Unis n’est que partiel car la France demeure un Etat centralisé où les collectivités territoriales n’ont qu’un pouvoir de gestion déléguée. Elles n’ont pas de compétences propres sur lesquelles elles peuvent légiférer. La marche vers un système fédéral évoquée par François Léotard il y a une vingtaine d’années est la seule voie pour la modernisation du pays et surtout pour lui permettre de retrouver la confiance.
La fédéralisation de la France casserait la verticalité de notre pays qui se traduit par l’hypertrophie de la région parisienne, par la domination des grandes écoles, par l’hyperpuissance des médias nationaux. L’absence d’entreprises de taille moyenne n’est pas sans lien avec le mode d’organisation du pays. L’entreprise française est une entreprise parisienne cotée au CAC 40 ayant des relations étroites avec les pouvoirs publics. Il faut l’avouer que la France arrive à placer près de 10 entreprises parmi les 100 plus grandes entreprises mondiales, prouvant ainsi qu’elle peut rivaliser au-delà de ses frontières. Mais cette hypercentralisation a empêché le développement d’entreprises régionales, familiales qui font la force de l’Allemagne et qui expliquent les bons résultats de sa balance commerciale. Pour réussir en France, il faut monter à la capitale, pour réussir, il faut entrer dans un grand groupe, pour réussir, il faut au préalable avoir fait ses classes dans les grandes écoles…
L’émergence d’Etats fédérés pourrait redonner aux régions des forces nouvelles obligeant l’Etat central à se réinventer. Bien évidemment, il faudrait que cela s’accompagne d’une remise à plat de la fonction publique pour éviter que la France passe de 5 à 10 millions de fonctionnaires… Mais ce n’est qu’avec des réformes systémiques que l’on peu rebattre les cartes et revenir sur des situations acquises. Sans un choc, la spirale du déclin risque d’emmener la France dans les profondeurs des classements mondiaux.
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