De la nécessité de critères budgétaires pour la zone euro

10/05/2021, classé dans

Depuis leur introduction, les critères de Maastricht ont toujours fait débat, en particulier en France même si François Mitterrand en fut l’un des instigateurs. L’objectif initial était de rassurer les Allemands en instaurant un cadre de bonne gestion des dépenses publiques et de permettre la qualification du plus grand nombre d’États à l’euro. La France souhaitait que l’Italie et la Grèce puissent intégrer l’union monétaire dès son lancement. Par ailleurs, en fixant un solde maximal de déficit public à 3 % et de dette publique à 60 %, la France préconisait des critères qu’elle respectait à l’époque. Pour certains, la théorisation du bien-fondé de ces critères serait intervenue a postériori. Au-delà des seuils plus ou moins arbitraires, l’union monétaire repose sur un principe de responsabilité individuelle et collective ; les États doivent veiller à ne pas mettre en danger la monnaie par des politiques laxistes. La monnaie étant un bien commun, les États membres de la zone euro se sont engagés à ne pas mener des politiques divergentes.

Depuis 1991, de nombreux États, et pas des moindres, ont contrevenu aux critères de Maastricht. Le premier fut sans nul doute l’Allemagne du fait de la réunification. La crise financière de 2008 conduisit par la suite plusieurs États à sortir du cadre prévu. La Grèce alla jusqu’au bord du précipice mais il faut également citer l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la France. Avant même la crise sanitaire, ces quatre pays ne respectaient pas la règle des 60 % du PIB pour la dette publique et peinaient à se conformer au critère des 3 % du PIB.

Trente ans après leur création, l’épidémie de la Covid-19 a mis entre parenthèse les fameux critères et a soulevé une nouvelle fois l’idée de leur reformulation voire de leur abandon. Le débat n’est pas nouveau. Depuis des années, plusieurs voies, notamment françaises, se faisaient entendre pour demander, par exemple, la sortie des dépenses d’investissement ou des dépenses militaires pour le calcul des déficits. Jusqu’à maintenant, les États d’Europe du Nord et l’Allemagne se sont opposés à toute modification. Compte tenu de l’augmentation de la dette publique de 20 points de PIB et des conséquences de la crise sur la structure des dépenses publiques, une réflexion sur la refonte des règles budgétaires européennes apparaît néanmoins indispensable.

L’économiste Jean Pisani-Ferry prend fait et cause pour une révision globale. Il souligne dans une note du Conseil d’Analyse Économique (CAE) que l’Union européenne doit tenir compte de l’hétérogénéité des situations qui prévaut en son sein. À partir des années 2000, une divergence est apparue entre les dettes publiques du Sud et du Nord de l’Europe. Depuis le début des années 2010, la dette française continue de progresser quand celle de l’Allemagne diminue, au point que l’écart entre ces deux nations qui était d’une dizaine de points en 2010 atteint 50 points de PIB en 2021. Pour Jean Pisani Ferry, la baisse des taux d’intérêt permet la mise en place de politiques budgétaires dynamiques qui offriraient l’avantage de s’opposer à la stagnation à laquelle est confrontée l’Europe depuis plusieurs années. La création d’une dette commune dans le cadre du plan de relance européen modifie, à ses yeux, le champ d’action des budgets nationaux qui peuvent s’appuyer sur des ressources de nature fédérale. Les tenants de cette thèse estiment que les critères de déficit et de dette devraient être calculés en prenant en compte les probabilités de solvabilité des États. Ainsi, le CAE suggère de remplacer les critères numériques uniformes du cadrage budgétaire actuel par une cible de dette à horizon de cinq ans fixée par chaque État membre sur la base d’une évaluation spécifique de la soutenabilité budgétaire. Ses membres ne sont pas favorables à l’introduction d’une règle d’or qui traiterait les dépenses d’investissement différemment des autres dépenses publiques. Ce refus est lié aux difficultés de classification des dépenses. Les dépenses d’éducation et de formation n’entre pas dans la catégorie des investissements publics. Or elles sont susceptibles d’avoir un effet sur la croissance potentielle. Pour maintenir un haut niveau de dépenses publiques sans provoquer de tensions sur les taux, les économistes du CAE souhaitent que l’Union européenne pérennise le système de financement par emprunt mis en place dans le cadre du plan de relance. Jean Pisani Ferry et les économistes du CAE estiment que les taux d’intérêt sont durablement bas et qu’aucun incident ne pourrait en modifier le cours. L’interférence de l’augmentation de la dette publique avec la valeur de la monnaie est également occultée tout comme les éventuelles conséquences sur les prix. Leur analyse suppose, en outre, l’existence d’un consensus au sein des États membres. La difficile adoption du plan de relance semble prouver pourtant le contraire. La résurgence de l’inflation pourrait provoquer des tensions au sein de l’Union entre les tenants de la rigueur et les autres.

L’idée de retenir la soutenabilité de la dette par pays revient à définitivement abandonner tout critère collectif. Les États seraient ainsi incités à se caler sur le niveau le plus élevé de dépenses publiques. Compte tenu des besoins en matière de santé, de retraite, de dépendance, le désendettement serait renvoyé aux calandres grecques. L’espoir serait alors que la croissance permette d’effacer ce dernier.

Le pari de certains pour une relance plus large en Europe et en particulier en France

Les règles budgétaires européennes établies en 1991 ne sont plus d’actualité et il apparaît nécessaire d’en fixer de nouvelles afin de préserver la valeur de la monnaie et d’éviter des comportements de passagers clandestins. Le risque de crise autoréalisatrice des dettes publiques des pays « fragiles » de la zone euro serait très élevé, ce qui forcerait la BCE à continuer ou à reprendre périodiquement sa politique d’achat de dettes publiques pour stabiliser les écarts de taux d’intérêt entre les pays. Sans critères, les tensions au sein des États membres ne pourraient que s’accroître avec une menace d’explosion de l’union monétaire. Cette thèse ne convainc pas les économistes Jean Pisani-Ferry et Olivier Blanchard qui ont demandé le 6 mai un deuxième plan de relance de 50 à 60 milliards d’euros pour les années 2021 à 2023. Ils estiment que l’Europe doit surenchérir par rapport aux États-Unis afin de ne pas décrocher. Selon la note de ces deux économistes, l’objectif de ce plan serait « d’effacer complètement les séquelles » de la pandémie de Covid-19. Jean Pisani Ferry s’oppose au programme de stabilité adressé par Bruno Le Maire à la Commission qui acterait la perte de l’acquis de deux ans de croissance et qui serait à ses yeux trop timoré. Le plan de relance de 100 milliards d’euros adopté par le gouvernement vise à retrouver en 2022 le niveau d’activité économique de 2019 mais non à rattraper les deux à trois points de PIB perdus en cours de route à cause de l’épidémie. Les deux économistes proposent que le second plan augmente les investissements éducatifs ainsi que les dépenses consacrées aux innovations de rupture, à la lutte contre le réchauffement climatique et à la santé. Jean Pisani-Ferry et Olivier Blanchard souhaitent également affecter 10 milliards d’euros au redressement des entreprises viables à travers l’abandon de créances fiscales et sociales pour les secteurs les plus en difficulté et la conversion de créances en fonds propres et en ayant recours à des subventions aux salaires dans les secteurs encore pénalisés par les restrictions sanitaires. Un milliard d’euros pourrait aussi être consacré à un programme de tutorat à large échelle pour les élèves des écoles et des collèges et à de la formation professionnelle. Ils préconisent l’octroi d’une aide aux ménages distribuée avant l’été. Au minimum, une allocation de 350 euros en moyenne pourrait être attribué à la moitié de la population. Pour la rentrée de septembre,  5 à 10 milliards d’euros pourraient être ajoutés en faveur des contribuables modestes, notamment via une majoration de l’allocation de rentrée scolaire, comme l’an dernier. Les auteurs évoquent même une baisse provisoire de TVA, ligne rouge absolue pour le ministre de l’Économie Bruno Le Maire. Pour financer la dette, les deux auteurs optent pour la dette. Ils indiquent « qu’on peut se permettre ce genre de mesures aujourd’hui, car le risque d’inflation et de hausse des taux demeure très faible ».

Que se passe-t-il si certains États jouent l’endettement quand d’autres s’engagent dans la voie de l’équilibre des finances publiques ? Cette divergence avait été jugée dangereuse lors de l’élaboration du traité de Maastricht car le laxisme de quelques États était censé pénaliser tous les membres à travers une hausse des taux d’intérêt. Avec la renationalisation des finances des États, ce risque aurait disparu comme l’a prouvé l’affaire grecque en 2011. Si du fait d’une politique budgétaire laxiste, les taux d’intérêt de certains États augmentaient, des pressions se feraient jour afin que la Banque centrale intervienne pour acheter encore plus de titres publics. L’opposition de certains États membres pourrait alors conduire à un réel blocage. L’euro subirait une dépréciation qui génèrerait une inflation qui serait condamnée par les États d’Europe du Nord.

La disparition des règles budgétaires pourrait amener le taux d’endettement public des pays « fragiles » à un niveau que les investisseurs jugeraient incompatible avec leurs capacités de remboursement. Comme pour la Grèce, les anticipations provoqueraient une crise de la dette dans le cadre d’un schéma d’autoréalisation. La France, le Portugal, l’Espagne et l’Italie dont des taux d’endettement public dépassent 115 % et devraient continuer à augmenter fortement ces prochaines années seraient ainsi dans le viseur des investisseurs. En-dehors d’un financement par la banque centrale, ces États devront soit disposer d’un fort taux d’épargne, soit attirer des capitaux extérieurs tout en bénéficiant d’un fort taux de croissance. Si l’Espagne et le Portugal ont réussi après 2012 à entrer dans un cycle de croissance dynamique, ce ne fut pas le cas pour la France et l’Italie. Les investisseurs risqueront de tester la solidarité des États membres pour régler tout à la fois les divergences économique et financière.

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