De la grande démission à la grande disruption

02/01/2022, classé dans

En 1919, après la Première Guerre mondiale et l’épidémie de grippe espagnole, de nombreuses villes occidentales ont dû faire face à des mouvements sociaux. Ce fut notamment le cas de la ville américaine de Seattle. Face à une forte inflation, les salariés de cette ville ont demandé des revalorisations de leur rémunération et une réduction du temps de travail. Les travailleurs des chantiers navals se sont alors mis en grève. Les autres secteurs d’activité au sein de la ville furent également touchés par des mouvements sociaux qui se sont répandus dans les autres grandes cités américaines puis à l’Europe qui était également en proie à des insurrections communistes, notamment en Allemagne. Les employeurs craignaient alors une montée d’un large sentiment anticapitaliste au sein des ouvriers.

Un siècle plus tard, Seattle a connu plusieurs grèves dont celle des menuisiers qui réclament une amélioration de leurs salaires et de leur condition de travail. Sur fond de pénurie de main d’œuvre et de démissions, les entreprises sont à la peine pour pourvoir de nombreux postes. Les entreprises technologiques ont augmenté les salaires moyens de près de 5 % depuis 2020. L’entreprise Microsoft qui est un des employeurs majeurs de l’agglomération, a affirmé qu’elle se préparait à gérer d’importantes transitions professionnelles. Une partie non négligeable de ses salariés souhaite soit avoir de nouvelles activités au sein du groupe, soit démissionner pour changer de vie. Aux États-Unis, plus de cinq millions de personnes ne seraient pas revenues sur le marché du travail après le confinement. Au mois d’août dernier, 4,3 millions de personnes ont démissionné de leur poste aux États-Unis. En octobre, ce nombre était de 4,2 millions. Ce  phénomène est appelé « The Great Resignation » – « la Grande Démission ». Avec la pandémie, de nombreux salariés auraient changé leur rapport au travail. Dans une banque à Manhattan, plus de 5 % des salariés ont déclaré vouloir changer d’emploi dans les douze prochains mois. Pour conserver leurs salariés, les entreprises pharmaceutiques de la Cote Est sont contraintes de proposer de fortes augmentations de salaire. Pour le moment, la zone euro échappe à cette vague de grande démission à la différence du Royaume-Uni. Dans ce pays au  troisième trimestre de l’année, près de 400 000 salariés sont passés d’un emploi à un autre après avoir remis leur préavis, le niveau le plus élevé jamais enregistré. En France, les secteurs de l’hébergement et de la restauration sont à la peine pour retrouver leurs salariés d’avant la crise. Cette situation est en grande partie due au non-retour de travailleurs immigrés après la fin des confinements.

Les enquêtes sur les motivations des salariés donnent des résultats contradictoires. Si une volonté de changer se fait jour, dans le même temps, l’engagement des salariés qui constitue un indicateur de la satisfaction au travail, est proche de son niveau record au sein de l’OCDE. Le nombre important de postes vacants offre, pour la première fois depuis de nombreuses années, des possibilités de choix pour les salariés. Grâce aux économies réalisées depuis le début de la crise sanitaire, ces derniers peuvent attendre avant de prendre leurs décisions. L’augmentation du nombre des démissions ne doit pas, en outre, être exagérée. Elle est la conséquence du gel du marché du travail en 2020. Des salariés ont différé leur départ de leur entreprise en attendant la fin de la crise sanitaire. Le souhait de changer de vie en abandonnant les grandes agglomérations était déjà vivace avant l’épidémie. Cette dernière n’a fait qu’accentuer cette tendance. Aux États-Unis, les États d’’Arizona ou du Nevada profitent du désintérêt de la population pour les grandes villes de la Cote Ouest. En France, Angers, La Rochelle, Le Mans ou Ajaccio se caractérisent par de forts taux de créations d’emploi en lien avec l’augmentation de leur population. La Grande Démission ne s’apparente pas totalement à un rejet de la valeur travail. La demande en biens de consommation et en services des salariés souhaitant changer de vie reste élevée , d’autant plus qu’il s’agit majoritairement d’urbains.

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