De la fiscalité à la révolte, une vieille antienne française !
La France est un pays de révoltes aux origines bien souvent fiscales. Les difficultés budgétaires, liées aux guerres, aux dépenses somptuaires des régimes qui se succédèrent, contraignirent les dirigeants, monarques, empereurs ou élus, à trouver des solutions pour tenter d’éviter la banqueroute, sachant que la France en connut néanmoins plusieurs au cours de son histoire.
« La Grande Jacquerie »
La première grande révolte fiscale, intervient, dans notre pays en 1358, durant la Guerre de Cent ans. Elle prend le nom de « Grande Jacquerie », nom qui entrera dans le vocabulaire commun pour désigner tout soulèvement initialement de paysans. Cette révolte tire son nom de son chef Jacques Carle appelé Bonhomme. Selon une autre thèse, l’appellation « jacquerie » proviendrait du nom la veste portée, à cette époque, par les paysans, la jacques (qui au 19e siècle sera transformée en jaquette). La Grande Jacquerie touchera les campagnes d’Île-de-France, de Picardie, de Champagne, d’Artois et de Normandie. Les causes de la colère des paysans qui sont alors la première catégorie sociale du Royaume sont multiples. Elle intervient au même moment que les mouvements insurrectionnels organisés par Etienne Marcel à Paris. Parmi ces causes, figure l’impopularité de la noblesse après les défaites de Crécy (1346) et de Poitiers (1356). Les nobles sont alors déconsidérés, tout comme le pouvoir royal en raison de l’emprisonnement du roi Jean. Sa libération nécessite le paiement d’une rançon entraînant une augmentation de la pression fiscale. L’insécurité au sein des campagnes avec la multiplication des bandes de pillards génère un climat propice à la révolte des paysans. Ces derniers ont reçu l’appui du Prévôt des Marchands de Paris, Etienne Marcel, qui tente également d’affaiblir le pouvoir royal. Son soutien sera de courte durée car il changera de camps pour rallier les nobles et mater la rébellion.
Durant la Grande Jacquerie, les vilains menèrent de nombreux actes violents, brûlant des châteaux et tuant des chevaliers. Au mois de juin 1358, les nobles décidèrent d’exterminer les croquants. Leur chef fut pris par surprise. Ayant reçu l’assurance d’une trêve, il accepta de se livrer aux nobles qui le décapitèrent sur la place publique. Malgré tout, après l’arrêt des violences, l’exécutif décida de libérer les principaux meneurs avec la publication de lettre de rémission.
La Fronde ou comment la France bascule dans un nouveau régime
La Fronde entre 1648 et 1653 est une période de troubles graves. Elle est tout à la fois une crise politique avec la tentative des grands Nobles de remettre en cause le pouvoir du Roi de France et une crise sociale en raison des difficultés que rencontrent la population. La fronde trouve sa source dans la crise économique et l’augmentation de la pression fiscale en vue de faire face aux dépenses de la guerre de Trente Ans. Les dépenses de l’État ont été multipliées par cinq entre 1600 et 1650, quintuplement faisant suite à leur doublement entre 1515 et 1600. L’espoir de baisse de la pression fiscale, promise par la régente Anne d’Autriche après la mort de Louis XIII, s’est évanoui. Le Cardinal Mazarin a, en effet, demandé l’élargissement de l’assiette des impôts afin d’en améliorer le rendement. Les édits fiscaux se multiplient et sont de plus en plus mal reçus par la population et par le Parlement (édit du Toisé en 1644, la taxe des Aisés et l’édit du tarif en 1646). En janvier 1648, sept nouveaux édits fiscaux sont soumis à enregistrement. Par souci d’économies, l’État rogne sur la rémunération des offices, ce qui alimente la contestation chez les Nobles et la bourgeoisie. Un office produit en effet des revenus (que l’on appelle des gages), et le pouvoir royal supprime pour quatre années tous les gages des officiers parlementaires au mois d’avril 1648. La surenchère fiscale amena les Princes du Royaume (dont Condé) à s’engager dans une guerre civile de plusieurs années qui amena le départ à deux reprises de Mazarin. La fronde prit fin avec l’avènement de la majorité de Louis XIV qui usa de tout son pouvoir pour éviter la réédition de la Fronde durant tout son règne. La Fronde incita Louis XIV à s’installer à Versailles, plus facile à protéger que le Louvres et plus confortable que Saint Germain en Laye, ville dans laquelle il est né. Surtout, il décida de professionnaliser l’administration en nommant des bourgeois ou des petits nobles. La centralisation et la réduction des pouvoirs des Parlements de Province ainsi que des corps intermédiaires ne sont pas sans lien avec cette période trouble de l’histoire de France.
La révolution française, le maître étalon des révoltes
Après le Grand Siècle de Louis XIV, la France renoue avec les difficultés financières. Le faste de la Cour royale et la multiplication des guerres entraîne une envolée des dépenses sous Louis XV dont son successeur, Louis XVI, hérite à partir de 1774. La France connait dans les années 1770 plusieurs récessions. À la fin des années 1780, la disette refait son apparition en raison de mauvaises récoltes. Les révoltes se multiplient dans les campagnes. Par ailleurs, une crise financière due à la participation de la France à la guerre d’indépendance des États-Unis, oblige l’État à envisager une nouvelle levée d’impôt. Dans l’incapacité de restaurer l’équilibre budgétaire, de 1774 à 1790, dix ministres des finances se succèdent. Turgot tente de réduire le train de vie de l’État et d’améliorer les rentrées fiscales en luttant contre la fraude mais il ne peut obtenir du roi la réduction des dépenses de la cour. Turgot s’attelle également à la libéralisation de l’économie. Le commerce était en France très réglementée, réglementation qui s’accompagnait d’un puissant protectionnisme conduisant à des prix élevés. Le réformisme de Turgot provoque l’hostilité des nobles, des détenteurs de charges et finalement du Roi qui le renvoie. De 1777 à 1781, Necker a recours à l’emprunt pour tenter de financer les dépenses publiques. Dans son rapport budgétaire, il ne mentionne pas le coût de la guerre en Amérique mais souligne celles de la Cour royale qui représentent 6 % de l’ensemble. Cette révélation conduit à la montée de l’hostilité à l’encontre du Roi et de la Reine. Aucun de ses successeurs ne pourra se passer de rendre publics les comptes, sauf à être accusé de vouloir dissimuler ses voleries. Necker est remplacé. Mais après trois années de semblables pratiques, les banquiers refusent de nouveaux emprunts. Calonne se retrouve en présence de difficultés insurmontables. Il lance un projet de réforme fiscale visant à la création d’un impôt unique. En février 1787, sachant que son projet se heurterait à l’opposition du Parlement, Calonne convoque une assemblée de notables qui refuse son projet, refus entraînant son renvoi. À partir de ce moment, un bras de fer s’engage entre le Parlement et l’exécutif. Le nouveau Ministre des Finances, Brienne tente de reprendre les projets de Calonne mais le Parlement de Paris réclame la convocation des États Généraux espérant encadrer définitivement les pouvoirs financiers du Roi. Ce dernier refuse et exile le parlement à Troyes. Une rébellion de toute la noblesse s’organise alors. Les parlementaires réussissent à faire croire qu’ils défendent les intérêts de toute la Nation, en présentant la loi sur l’impôt unique comme une charge supplémentaire qui pèsera sur les épaules du Tiers-Etat.
Le 7 juin 1788, c’est la journée des Tuiles à Grenoble. La révolte gagne les parlements de province. Lorsque l’armée royale tente d’arrêter les magistrats du Parlement de Grenoble, la population, acquise aux parlementaires, monte sur les toits pour bombarder les soldats de tuiles. Le Parlement exige la convocation immédiate des États Généraux et invite les Français à refuser le paiement des impôts jusqu’à ce que le roi cède. Acculé à la banqueroute, le roi capitule : il convoque, pour 1789, les États Généraux qui n’ont pas été réunis depuis 1614, pour voter les impôts. Face à l’accumulation des problèmes financiers, le Roi rappelle Necker en 1788. Avec la tenue des États Généraux, sans le savoir, le Roi signe son arrêt de mort. La Révolution est enclenchée et durera jusqu’à l’avènement au pouvoir de Bonaparte en 1799.
Plus de deux siècles après la Révolution française, cette dernière demeure la référence en France comme à l’international. Par son caractère total, sa montée aux extrêmes, par l’effervescence institutionnelle et juridique ainsi que culturelle, elle est évidemment reprise par tous les aspirants à la révolution. Les « gilets jaunes » n’ont pas failli en la matière en détournant des slogans de l’époque et en faisant mention de la guillotine qui trouva toute son utilité durant la Terreur. La théorie du Grand Soir, du grand chambardement trouve ses fondements dans l’esprit révolutionnaire qui dans les faits est un enfant des philosophes des Lumières. Mai 1968 ne s’inscrit pas dans les révoltes fiscales que la France connait régulièrement. Pour reprendre la formule de Pierre Viansson-Ponté, c’était avant tout une révolte d’une France qui s’ennuyait après dix ans de Gaullisme, une révolte des enfants du baby-boom qui comptaient tourner la page de la guerre. Mai 68 était un mouvement placé sous le signe de la jeunesse. La soif d’émancipation l’emportait sur les considérations économiques et sociales même si les syndicats, encore puissants à l’époque, saisirent l’opportunité pour obtenir des concessions de la part du Gouvernement et du patronat. Le mouvement des Gilets jaunes le serait plutôt en partie sous le signe du vieillissement et de la peur de l’avenir. Ce mouvement a été l’occasion pour de nombreuses personnes de nouer, sur les ronds-points des liens sociaux. A ce titre, il a été doublement enfanté par les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux comme Facebook ont facilité la mobilisation des gilets jaunes à défaut de permettre leur structuration. Mais aussi Internet a contribué au fil des années à l’isolement. Les Français passent de plus en plus de temps derrière leur écran au détriment des activités collectives, associatives, politiques, syndicales voire familiales. La crise des Gilets jaunes est celle d’une insatisfaction généralisée. Les réseaux permettent d’accéder à une somme d’informations incommensurable vraies ou fausses mais aussi réduit le champ de vision. Sur les réseaux, du fait des algorithmes, les internautes n’ont accès à des informations sélectionnées conformément aux données, aux traces qu’ils ont laissées. La tentation est également d’éliminer les « amis » qui penses différemment.
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