L’impasse budgétaire française
Depuis cinquante ans, la France accumule des déficits publics qui alimentent une dette publique, battant record sur record. Au sein de l’opinion, la question des finances publiques n’est pas un réel sujet d’inquiétude. Le franchissement des seuils européens de 60 et 100 % du PIB de dette publique comme le « quoi qu’il en coûte » ont donné l’impression qu’il n’y a pas de limites. Une part non négligeable de la population pense même qu’il conviendrait d’augmenter encore plus les dépenses. Pourtant, les mésaventures de Mary Elizabeth Truss au 10 Downing Street (du 6 septembre au 25 octobre 2022), contrainte de démissionner en raison des réactions provoquées sur le marché des changes par son projet de budget déséquilibré, montre que le précipice n’est pas aussi éloigné que certains osent le prétendre.
En 2023, Le gouvernement français a présenté sa programmation des finances publiques pour la période 2023-2027 à la Commission européenne. Les hypothèses retenues alors apparaissaientoptimistes et le sont plus encore en ce début d’année. En effet, le taux de croissance du PIB devrait être de 1,4 % en 2024, 1,7 % en 2025 et 2026 et 1,8 % en 2027. Or, en l’état actuel, la croissance ne devrait pas dépasser 0,9 % en 2024 et se situer, en moyenne, autour de 1,5 % dans les prochaines années compte tenu de l’évolution de la population active et de la productivité. En 2023, le gouvernement a estimé que les gains de productivité augmenteraient de +0,1 % en 2023 à +0,5 % en 2024, +0,4 % en 2025 et 2026, +0,5 % en 2027. La productivité par tête, durant l’année 2023, est restée constante et est en baisse sur ces cinq dernières années. De 2010 à 2023, la productivité par tête a augmenté de 5 %. Celle-ci s’est contractée de 6 % de 2019 à 2023. Le recul de la productivité est imputable au vieillissement de la population active, au manque d’investissements en nouvelles technologies et à la faiblesse des dépenses de Recherche-Développement ainsi qu’à l’arrivée sur le marché du travail de salariés peu qualifiés. Le redressement des gains de productivité ne sera pas aisé. Avec les hypothèses de croissance retenues par le gouvernement, le déficit public serait ramené à 4,4 % du PIB en 2024, 3,7 % du PIB en 2025, 3,2 % du PIB en 2026 et à 2,7 % du PIB en 2027.
Pour atteindre les objectifs de croissance, le gouvernement compte sur l’amélioration du taux d’emploi. À cette fin, il a reporté l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans. La France a un déficit d’emploi par rapport aux États d’Europe du Nord de 10 points (68 % contre 78 %). L’emploi croîtrait de 0,7 % en 2024 et de 1,3 % par an de 2025 à 2027), ce qui, avec un recul de 0,1 % par an de la population en âge de travailler, implique une hausse de 5 points, de 2024 à 2027, du taux d’emploi. Celui-ci passerait à 73 % d’ici 2027. Le respect du programme transmis à Bruxelles suppose que la dépense publique n’augmente que de 0,6 % en volume de 2023 à 2027. Or, depuis plus de vingt ans, la France n’a jamais été capable de respecter les plans de réduction des déficits publics qu’elle avait communiqué à la Commission, le montant des dépenses ayant tendance à progresser de 1 % par an. De 2010 à 2023, les dépenses publiques ont progressé de 15 % en valeur réelle (déflatées de l’inflation).
Selon Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de Natixis, en cas de stabilité de la productivité entre 2024 et 2027, le déficit public serait de 3,7 % du PIB en 2027, au lieu des 2,7 % du PIB même si l’hypothèse de croissance des dépenses publiques est satisfaite. Moins de croissance signifie plus de dépenses et moins de recettes publiques. Le montant du PIB évoluant moins rapidement que prévu, le poids du déficit et la dette publics sont relativement plus élevés. Pour rester dans la feuille de route adressée à la Commission européenne, le gouvernement devra arbitrer entre une diminution drastique des dépenses publiques et une hausse des prélèvements obligatoires. L’effort à réaliser porterait sur une vingtaine milliards d’euros par an. Or, le gouvernement dispose de peu de marges de manœuvre. Toute réduction de crédits provoque de vives réactions. Le niveau élevé des prélèvements obligatoires, 45 % du PIB, laisse peu de possibilités aux pouvoirs publics. L’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale complique la donne.
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