Cherche productivité désespérément

10/09/2022, classé dans

La productivité a disparu et nul ne sait comment la faire réapparaître. Moteur de la croissance depuis le milieu du XVIIIe siècle, elle s’amoindrit de décennie en décennie depuis cinquante ans. Avec l’utilisation massive des outils numériques durant les confinements et la diffusion des premiers vaccins ARN, n’en déplaise aux antivaccins, l’épidémie a remis la science au cœur de l’économie et plus globalement au cœur de la société. En quelques mois, les populations ont pris conscience qu’elles pouvaient sauver des vies et permettre à l’économie de continuer de fonctionner. La science, le digital ont prouvé qu’ils pouvaient réveiller une productivité déclinante. Les gouvernements ont alors promis de consacrer plus d’argent à l’innovation et les entreprises ont présenté des plans de R&D plus ambitieux. La volonté de rupture était manifeste. Dans les années qui ont précédé la pandémie, le taux de croissance des pays occidentaux avait considérablement ralenti. Dans les années 2010, la productivité horaire par tête aux États-Unis avait augmenté deux fois moins vite qu’au cours de la décennie précédente. La baisse était encore plus marquée en Europe. Les sociétés étaient devenues moins aptes à trouver de nouvelles idées, à les traduire en innovations et à promulguer ces innovations. The Rise and Fall of American Growth de Robert Gordon, publié en 2016, affirmait qu’il y avait moins de découvertes à faire qui changeraient la vie. Cet ouvrage a popularisé la thèse de la stagnation séculaire. Les salaires ne pouvaient plus augmenter du fait de la diminution des gains de productivité. Pour contrecarrer cette évolution, les États n’avaient d’autres solution que d’accepter toujours plus de pauvreté ou d’accroître leurs déficits publics.

Les espoirs de l’après confinement semblent s’évanouir Après le rebond de 2021, le soufflet de l’économie mondiale est retombée avec, en outre, une résurgence de l’inflation. La productivité se contracte au lieu de s’accroître. Au deuxième trimestre de 2022, le PIB américain a baissé de 0,1 % quand le nombre d’Américains salariés a augmenté de 1,3 million. Le PIB britannique a chuté du même montant, tandis que l’emploi a augmenté de 150 000. La France décompte un million d’emplois en plus en 2022 par rapport à 2019 pour un PIB quasi identique. Les pays occidentaux produisent autant qu’avant la crise sanitaire avec plus de personnes, ce qui signifie une baisse de la productivité. Selon l’économiste Robert Gordon, la faible croissance de la productivité actuelle est le revers de sa forte croissance en 2020. À l’époque, les entreprises avaient évolué en mode dégradé avec peu de salariés. Aux États-Unis, elles avaient licencié les moins productifs, ce qui a augmenté la productivité. Maintenant, ils les réembauchent et la font diminuer.

En Europe, à la différence des États-Unis, il n’y a pas de grande démission, de refus du retour à l’emploi. En revanche, les salariés sont moins disposés qu’auparavant à travailler en horaires décalés, le week-end ou à occuper des emplois pénibles. Pour un même poste, les employeurs sont contraints de doubler les salariés.

Pourquoi le rebond espéré de la productivité n’a-t-il pas eu lieu ? Les optimistes soulignent que les dépenses d’investissement qui ont effectivement augmenté, ne déboucheront sur des gains de productivité que d’ici quelques années. Les pessimistes mettent en avant plusieurs raisons qui empêchent le retour de ces gains de productivité. Les entreprises ne dépensent pas nécessairement pour la réalisation d’équipements qui augmentent la productivité. Les entreprises doivent mener à bien la décarbonation de leurs activités, ce qui conduit à des dépenses importantes ne contribuant pas automatiquement, voire au contraire, à une amélioration de la productivité. La sécurisation des chaînes d’approvisionnement génère de son côté des surcoûts et donc aboutit à des baisses de productivité. De nombreuses entreprises constituent également des stocks ou des stocks de matières premières et de produits finis. Ces dépenses n’ont aucun impact sur la productivité. En Allemagne, fin 2021, l’accumulation des stocks représentait 9 % de l’investissement total. Les dépenses réelles en Recherche et Développement seraient au niveau mondial inférieures à leur niveau d’avant crise sanitaire. Elles seraient néanmoins supérieures aux États-Unis. Même la diffusion du digital et le recours aux robots dans la production industrielle marqueraient le pas, la faute en particulier aux pénuries de microprocesseurs.

Vanté par certains comme un facteur favorable à la productivité, le télétravail serait pour d’autres une source de son déclin. Aux États-Unis, un tiers des journées de travail des personnes travaillant initialement dans le bureau se passent désormais à domicile. Aucune enquête ne conclut favorablement ou défavorablement en la matière. Le télétravail rend plus difficile l’organisation des tâches au sein des entreprises, surtout lorsqu’il est pratiqué le jour des enfants et en fin de semaine. Depuis le début de la crise sanitaire, les travailleurs prennent plus de jours de maladie. Ce phénomène est constaté en France comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni.

Les facteurs jouant contre la productivité l’emportent sur ceux censés la favoriser. L’éclosion d’une nouvelle vague d’innovations se fait attendre. Les pénuries de main d’œuvre qui se multiplient pourraient conduire les entreprises à modifier en profondeur leur process. Les besoins importants en matière de santé pourraient également jouer en faveur d’une diffusion accélérée du progrès technique. Le secteur de la défense pourrait contribuer également à de nouvelles avancées technologiques. Le renouveau des tensions internationales incite les États à investir à nouveau dans les équipements militaires. Or, dans le passé, ceux-ci ont joué un grand rôle dans l’avènement de nouvelles techniques (radiologie, Internet, énergie nucléaire, etc.).

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