Au temps des influenceurs et des influenceuses

09/04/2022, classé dans

Selon l’étude annuelle de Reech, société spécialisée dans le marketing d’influence, la France comptait 150 000 influenceurs sur les réseaux sociaux en 2020. Ce terme est aujourd’hui de plus en plus rejeté et remplacé par celui de « créateurs de contenus », jugé plus valorisant. L’objectif reste le même, influencer les habitudes de consommation des internautes en mettant en avant sa notoriété, sa surface médiatique, etc. Ces influenceurs sont devenus des acteurs incontournables du marketing numérique. Le secteur de la mode et en particulier du luxe a compris rapidement le potentiel de vente des influenceurs et des influenceuses qui jouent le rôle pour les consommateurs d’amis de confiance. Pour les marques, ils sont des ambassadeurs vers les clients de la génération Y et de la génération Z, ces derniers étant responsables de près de 50 % des ventes des marques de luxe.

Une nouvelle pratique du marketing ?

Avec les réseaux sociaux, les marques ont transformé leurs pratiques en matière de marketing et de publicité. Durant des décennies, les informations circulaient dans un sens descendant, des entreprises vers les clients potentiels. Le recours à des études de marché et à des groupes test permettait d’ajuster les produits et les prestations aux besoins de la clientèle. Les contacts avec les clients intervenaient essentiellement en cas de problème. Avec Internet, les marques sont passées du monologue au dialogue permanent avec leurs clients, soit directement, soit en ayant recours à des intermédiaires.

En France, les créateurs de contenus sont avant tout de jeunes créatrices, 74 % sont, en effet, des femmes âgées en moyenne de trente ans. Leurs contenus sont centrés à 80 % sur le style de vie (vêtements, meubles, décoration, voyages, etc.). Les thèmes liés aux grandes causes sociales représentent 10 % des contenus quand ceux de l’entreprenariat progressent pour atteindre 5 %. Les questions de financement, d’épargne, d’assurance sont également en hausse. Le terme « activiste » s’invite de plus en souvent à côté de celui de « mannequin », « actrice » ou « coach de yoga » pour compléter le portrait de nombreuses influenceuses. La crise sanitaire a fait évoluer les pratiques de deux tiers des influenceurs, avec de nouveaux sujets (santé, bien-être, voyage) au détriment de la mode. En 2020, le marketing d’influence a connu une forte augmentation. Avec la crise sanitaire, les consommateurs ont passé plus de temps derrière leurs écrans et ont commandé en ligne, en nombre. En 2020, 51 % des créateurs de contenus ont reçu plus de demandes de partenariat qu’en 2019 et 47 % affirment avoir été davantage contactés en direct par des marques. La moyenne de la rémunération des partenariats est en hausse de 15 %. Zara, Ideal of Sweden (accessoires mode pour téléphonie) et Fabletics (produits de fitness à identité forte) sont les trois marques qui ont activé le plus d’influenceurs en France sur Instagram en 2020. Les marques valorisent de plus en plus le contenu des influenceurs. 45 % des créateurs ont déjà autorisé l’amplification de leurs contenus. Une pratique qui permet aux marques de cibler une audience plus large et d’augmenter la portée du contenu réalisé par le créateur. En France, les plateformes préférées des influenceurs, sont Instagram (93 %), loin devant Facebook (31 %), les blogs (25 %) et de YouTube (17 %), qui devance Twitter (14 %). Sur Instagram, les créateurs de contenus privilégient les « post » et les « stories » simples. 79 % des créateurs postent quotidiennement des stories. TikTok progresse rapidement. Si 41 % des influenceurs disposent d’un compte sur ce réseau, il n’est à l’origine pour le moment que de 4 % des demandes de partenariats de marques.

Le grand pays des influenceuses et des influenceurs est la Chine. En 2020, selon le Bureau national des statistiques, la contribution à l’économie chinoise des influenceurs dépasse 210 milliards de dollars, soit 1,4 % du PIB. Les entreprises américaines ont longtemps privilégié le recours aux vedettes du sport, de la télévision, du cinéma ou de la musique pour populariser leurs marques. Nike a, dès les années 1980, mené de grandes campagnes publicitaires en valorisant l’image de stars de la NBA ou de l’athlétisme (Jordan, Lewis). Depuis une dizaine d’années, elles utilisent de plus en plus les créateurs de contenus. 75 % des directeurs du marketing des grandes entreprises américaines ont prévu, en 2022, de consacrer une partie de leur budget au financement d’opérations en lien avec des influenceurs, contre 65 % en 2002. 12 % des ventes en Chine seraient réalisées grâce aux influenceurs. Au niveau mondial, plus de 19 000 entreprises auraient recours à de tels intermédiaires.

Research and Markets, une société d’analyse, estime que les créateurs de contenus ont récupéré plus de 10 milliards de dollars de revenus dans le monde en 2021, et pourraient gagner 85 milliards de dollars d’ici 2028. Le nombre d’entreprises offrant des services liés aux influenceurs a augmenté de 25 % l’an dernier, pour atteindre près de 19 000. Les dépenses mondiales des marques en influenceurs pourraient atteindre plus de 16 milliards de dollars cette année, soit plus d’un dollar publicitaire sur dix dépensé sur les réseaux sociaux. L’écosystème des influenceurs remet en question les principes séculaires de la publicité en particulier pour les marques de luxe. Depuis des décennies, ces dernières recouraient à des égéries, souvent des vedettes du cinéma, de la musique ou du sport, afin d’être des ambassadeurs souvent muets. Les contrats de ces stars pour réaliser quelques photos ou films publicitaires se chiffraient en millions d’euros. Les jeunes générations sont de moins en moins sensibles à ce type de publicité. Elles exigent une plus grande proximité et une certaine forme d’authenticité. Pour un coût plus réduit, les influenceurs sont capables de reconditionner le message d’une marque de telle sorte qu’il soit en phase avec les goûts de leurs abonnés. Ils ont la capacité à atteindre, en temps réel, un grand nombre de clients potentiels via les réseaux. Instagram est la plateforme la plus performante en la matière mais elle est de plus en plus concurrencée par TikTok qui est utilisée par les « micro-influenceurs ». Un influenceur sur Instagram peut avoir jusqu’à plusieurs millions d’abonnés. Sur TikTok, un panel de 100 000 abonnés est considéré comme fort honorable.

Les influenceurs doivent en permanence s’adapter aux évolutions de la sphère digitale en optant pour les bons réseaux sociaux. Facebook a ainsi de moins en moins d’intérêt, à la différence de TikTok ou Snapchat. Ils doivent être aptes à naviguer dans les algorithmes et les fonctionnalités en constante évolution des plateformes de médias sociaux. Par exemple, quand Instagram modifie son algorithme afin de privilégier les courtes vidéos par rapport aux images fixes, de nombreux influenceurs ont fait de même. Quand les applications de médias sociaux introduisent des fonctionnalités d’achat, les influenceurs associent de plus en plus divertissement et vente directe. Ce « commerce social » né en Chine tend à se développer dans ce pays. Ainsi, en 2021, en une journée, deux influenceurs Lui et Viya, ont réussi à vendre pour 3 milliards de dollars de marchandises. Les influenceurs conçoivent des histoires, des films avec des moyens dérisoires quand un spot publicitaire peut coûter des dizaines voire des centaines de milliers d’euros. Les influenceurs se professionnalisent de plus en plus. Jackie Aina, dont les conseils de beauté attirent plus de 7 millions de « followers » sur plusieurs plateformes, explique l’importance d’un équipement de haute qualité. Elle a investi dans du matériel de pointe, en particulier en ce qui concerne l’éclairage, afin de réaliser des spots de 30 secondes pour TikTok. Elle peut mettre jusqu’à plusieurs heures pour les réaliser.

Des sociétés de conseils en marketing mesurent l’impact des campagnes réalisées en ayant recours à des influenceurs. La société d’analyse, Launchmetrics, calcule la « valeur d’impact médiatique » (miv) qui résulte de telles campagnes et effectue des comparaisons par rapport à l’utilisation d’autres supports de communication. La diffusion sur Instagram du mariage de trois jours de Chiara Ferragni, une Italienne disposant de 27 millions de followers, a généré un total de 36 millions de dollars en « miv » pour des marques telles que Dior, Prada, Lancôme et Alberta Ferretti, qui a confectionné les robes des demoiselles d’honneur ; soit plus qu’une campagne traditionnelle de vidéos publicitaires dont l’impact est évalué à 25 millions de dollars pour un coût de production plus élevé. Pour LVMH, le ratio coût/efficacité des campagnes traditionnelles par rapport à celles via les influenceurs tourne à l’avantage des secondes. Un rapport confirmé par la campagne de communication de la collection automne/hiver 2021. La marque avait fait appel à BTS, un groupe pop sud-coréen très populaire auprès des jeunes mais également très cher.

Les influenceurs, un marketing “out of control” ?

Le monde des influenceurs est complexe et n’est pas sans risques pour des marques établies qui craignent en permanence pour leur réputation. Des influenceurs peuvent émettre des avis, des opinions qui ne sont pas en phase avec la communication des marques. Pour gagner des sommes importantes, les influenceurs peuvent multiplier les contrats remettant en cause les clauses d’exclusivité et pouvant nuire à la crédibilité des messages. Par définition, une myriade d’ambassadeurs est plus difficile à contrôler pour les marques qu’une ou deux stars sur des contrats exclusifs avec des clauses de bonne conduite. Pour se protéger, les marques proposent des contrats courts à leurs influenceurs permettant de mettre un terme rapidement à leurs activités en cas de non-respect du code préalablement défini. Les autorités chinoises agissent pour limiter les activités des influenceurs jugées anti-économiques. Elles ont ainsi supprimé, en 2021, 20 000 comptes d’influenceurs au motif de « pollution de l’environnement Internet ». Elles ont aussi décidé de lutter contre l’évasion fiscale pratiquée par les influenceurs des médias sociaux, qui sont payés par des marques étrangères. L’une des grandes influenceuses chinoises, Viya, a été condamnée à une amende de 210 millions de dollars pour ne pas avoir déclaré ses revenus. Les marques de luxe ont été appelées à réduire leurs dépenses d’influence en Chine. Les régulateurs en Chine et ailleurs commencent à exiger de la part des influenceurs une plus grande transparence afin de faire apparaître clairement le fait que leurs activités constituent du publireportage. Les responsables marketing prennent conscience que le système actuel contribue à renforcer le pouvoir des influenceurs plus que leurs marques ou produits. En les finançant, ils augmentent leur notoriété, ce qui leur permet d’exiger des émoluments croissants, fondés sur le nombre de followers et sur le volume d’achats générés par les vidéos et autres streaming en direct.

Certaines marques préfèrent ne pas utiliser des influenceurs, soit un tiers de celles intervenant dans les secteurs de la mode et de la haute technologie. Elles craignent de ternir leur réputation ou de ne pas maîtriser leur communication. Hermès maintient ainsi une présence sur les réseaux sociaux sans avoir recours à des créateurs de contenus. En revanche, LVMH et Kering continuent à s’appuyer sur des influenceurs pour créer des dynamiques de vente sur les réseaux sociaux. De même les marques en forte croissance ciblant davantage les jeunes utilisent de plus en plus d’influenceurs afin de toucher leurs clientèles.

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