A la recherche des gains de productivité perdus

14/06/2016, classé dans

Huit ans après le début de la crise économique et financière, la croissance peine à dépasser 3 % au niveau mondial. Si une telle faiblesse de l’activité est en partie conjoncturelle, elle est également le produit d’un ralentissement de la croissance de la productivité qui s’était amorcé bien avant la crise. L’endettement croissant des agents publics et privés en est justement un des signes.

90 % des pays de l’OCDE ont connu une décélération de la croissance tendancielle de la productivité du travail dès le début des années 2000. Cette baisse s’étend aujourd’hui aux pays dits émergents et cela malgré leur plus faible niveau de productivité. La productivité du travail est mesurée par le PIB par heure travaillée, qui peut se décomposer en contributions du renforcement de l’intensité capitalistique (c’est-à-dire plus de capital par unité de travail) et de la productivité totale des facteurs (PTF) résiduels.

 

Ce phénomène de stagnation de la productivité s’accompagne d’une progression des inégalités. En 2012, les 10 % les plus riches dans la zone OCDE avaient un revenu presque 10 fois plus élevé que celui des 10 % les plus pauvres, alors que le ratio n’était que de 7 au milieu des années 80. En termes de patrimoine, les disparités sont encore plus prononcées. Les 10 % les plus riches détenaient, en 2012, la moitié de la richesse totale des ménages dans les 18 pays de l’OCDE dont les données sont comparables. La baisse de la productivité est évidemment à mettre en lien avec la faiblesse récurrente de l’investissement et avec le fort taux de chômage.

L’impact des innovations technologiques pose question. Il y a un problème de diffusion des nouvelles techniques. En effet, un nombre croissant de personnes qui sont soit en sous-activité, soit dans l’impossibilité d’utiliser ces nouvelles techniques. Dans le même temps, Internet s’est diffusé à grande vitesse au niveau mondial mais il conduit à une augmentation des emplois à faible qualification. Dans les pays émergents mais aussi au sein des pays avancés, le poids des emplois précaires et informels tend également à s’accroître. Il en résulte évidemment une baisse de la productivité par une utilisation peu efficiente de la main d’œuvre.

Le combat entre pessimistes et optimistes continue. Ainsi, en reprenant l’analyse de Gordon, les innovations qui se sont diffusées au cours du 20ème siècle avaient des impacts économiques bien plus importants que celles que nous connaissons depuis une vingtaine d’années. Ainsi, l’électricité a révolutionné la production, les transports et la vie quotidienne bien plus qu’Internet. Plusieurs facteurs jouent en outre contre la productivité : le vieillissement démographique, la dégradation de l’éducation, le creusement des inégalités, la mondialisation, la transition vers un développement durable, et le niveau excessif d’endettement des ménages et des administrations publiques. La croissance, depuis la première révolution industrielle, n’a jamais été linéaire. Des phases d’accélération ont été suivies de phases de digestion et de crise. Avec une croissance de 2,8 % par an, l’économie mondiale connaît un rythme d’expansion sans précédent. La croissance qui était de 0,1 % en moyenne par an jusqu’au 18ème siècle a franchi la barre du 1 % au 19ème et celle des 2 % au 20ème siècle. Le ralentissement en cours est donc très relatif. La mondialisation intense des années 90 et 2000, en conduisant à d’importants transferts de richesse, nécessite une période de digestion. Par ailleurs, la révolution numérique par ses impacts polyphoniques ne s’est qu’imparfaitement traduite dans les statistiques économiques. Ainsi selon Brynjolfsson et McAfee (2011), « la numérisation croissante des activités économiques est à l’origine de quatre grandes tendances porteuses d’innovations :

  • l’amélioration de la mesure en temps réel de l’activité des entreprises ;
  • une expérimentation plus rapide et moins coûteuse de la part des entreprises ;
  • un partage des idées plus facile et plus généralisé ;
  • l’aptitude à reproduire des innovations plus rapidement et plus fidèlement (diffusion à plus grande échelle). »

Selon l’OCDE, les effets de la digitalisation sont entravés par un sous-investissement marqué, en particulier en Europe. Compte tenu du retard pris durant la grande récession, la reprise de l’investissement apparaît très modeste. Par ailleurs, l’organisation internationale souligne que la diffusion du progrès technique est très inégale au sein même des États. Il en résulte une dispersion grandissante de la productivité entre les entreprises, entre les différentes catégories d’actifs mais aussi entre les régions.

Si l’utilisation d’Internet s’est généralisée, en revanche, par sous-investissement, par manque de connaissances et de formation, les nouvelles techniques digitales tardent à se diffuser. C’est pour ces raisons que dans un contexte de progrès technologique, la productivité globale tend à se ralentir.

Si les possibilités du digital sont infinies ou presque, il y a un problème pour sérier les innovations créatrice de valeur et de productivité. Il ne faut pas oublier que la productivité correspond à l’aptitude d’une entreprise à produire davantage grâce à une meilleure combinaison des facteurs de production. Ce processus est rendu possible par de nouvelles idées, des innovations technologiques, ainsi que par des innovations de procédé ou des innovations organisationnelles.

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