700 ans d’heurs et de malheurs budgétaires
Les premiers déficits publics apparaissent, du moins de manière officielle, sous les rois capétiens et les Valois, notamment lors des grandes guerres, comme la Guerre de Cent Ans (1337-1453). À l’époque, il y a une confusion entre la caisse du Roi et le budget de l’État, rendant la gestion des finances publiques opaque. Lorsque le roi faisait face à des difficultés budgétaires, il recourait soit à des impôts extraordinaires, soit à des emprunts, principalement auprès de banquiers italiens. La France a connu de nombreuses révoltes liées aux impôts, de la Fronde aux Gilets Jaunes, en passant, évidemment, par la Révolution.
Après la banqueroute des deux tiers en 1797, Napoléon Bonaparte commence à structurer les finances publiques sous le Consulat, une œuvre qui sera poursuivie par son neveu durant le Second Empire. Les guerres napoléoniennes, à partir de 1810, deviennent de plus en plus coûteuses, obligeant l’Empereur à multiplier les emprunts et à accroître les prélèvements dans les pays conquis. La Restauration (1814-1830) a permis un assainissement rapide des comptes publics, favorisé par une croissance économique vigoureuse. Sous Louis XVIII et Charles X, les gouvernements s’efforcent de réduire les dépenses publiques, en particulier les dépenses militaires, qui avaient explosé sous Napoléon. Les effectifs militaires passent de 800 000 hommes sous Napoléon à environ 240 000 hommes sous la Restauration. Une réforme du cadastre est initiée pour améliorer la taxation foncière, basée sur des évaluations plus justes des propriétés rurales et urbaines. Certains impôts indirects mis en place sous l’Empire, tels que les droits de douane et les octrois, sont conservés, mais les gouvernements tentent de ne pas les augmenter, craignant un retour des révoltes fiscales. La rationalisation des dépenses publiques et la bonne tenue de l’activité économique permettent à la France de verser environ 700 millions de francs en indemnités de guerre aux puissances alliées, en plus des frais d’occupation militaire prévus par le Traité de Paris de 1815. Sur le plan financier, la Restauration crée en 1816 la Caisse des dépôts et consignations, dont la mission est de sécuriser les fonds publics et parapublics. Grâce à ces mesures, la France parvient à équilibrer ses finances publiques dès 1817.
Sous Louis-Philippe (1830-1848), la France connaît une période d’équilibre budgétaire. Les gouvernements adoptent des politiques qualifiées de rigoureuses. Les dépenses, notamment militaires, sont strictement contrôlées après la réduction massive de l’armée sous la Restauration. La dette publique reste stable, le gouvernement évitant de recourir à des emprunts excessifs. La dette accumulée sous Napoléon est progressivement remboursée. Sous la Monarchie de Juillet, les impôts indirects, tels que les octrois (taxes sur les produits de première nécessité, y compris les boissons et denrées alimentaires), constituent une source majeure de revenus. Ces taxes pèsent lourdement sur les classes populaires, ce qui alimente les tensions sociales. L’impôt foncier est également une importante source de revenus. La prudence budgétaire et l’absence de réformes sociales sous Louis-Philippe aggravent les tensions sociales. L’industrialisation rapide génère de fortes inégalités et une augmentation de la pauvreté. Les ouvriers et les paysans souffrent de la hausse des prix et de la stagnation des salaires. La crise de 1846-1847, crise agricole et économique majeure qui touche toute l’Europe, provoque une forte hausse des prix des denrées alimentaires, une montée du chômage et une dégradation des conditions de vie. L’absence de réponse du gouvernement conduit à la Révolution de 1848.
La Seconde République hérite d’une situation financière dégradée en raison de la crise après la récession de 1847-1848. Les dépenses publiques augmentent rapidement avec l’adoption de plusieurs mesures sociales. La baisse des recettes fiscales aggrave le déficit public. Parmi les mesures coûteuses figurent les Ateliers nationaux. En 1848, le déficit budgétaire s’élève à environ 200 millions de francs, un montant important pour l’époque. L’instabilité politique décourage les investissements et freine la reprise économique.
Durant le Second Empire (1852-1870), la situation budgétaire de la France s’améliore dans un contexte de forte croissance. Cependant, l’augmentation des dépenses d’infrastructures et militaires conduit à des déficits importants. Dès 1852, Napoléon III met en place une politique de modernisation économique axée sur le développement des infrastructures : chemins de fer, routes, canaux, ports et le réaménagement de Paris par le baron Haussmann. Ces grands travaux nécessitent des investissements publics importants. L’Empereur fait d’abord appel aux capitaux privés, mais doit également recourir aux emprunts publics. La croissance économique limite néanmoins l’ampleur des déficits et de la dette. Dans les années 1850, le déficit public avoisine 200 millions de francs. L’amélioration constatée à partir de 1857 s’interrompt dix ans plus tard en raison de l’augmentation des dépenses militaires (guerre du Mexique) et de l’ampleur des travaux à Paris, estimés à 2,5 milliards de francs. En 1867, une crise économique internationale affecte la France. La croissance ralentit, les investissements étrangers diminuent, et les banques connaissent des difficultés, notamment après la faillite de la Banque de l’Union Générale. Cette crise affecte les finances publiques, car les recettes fiscales chutent en raison du ralentissement économique. L’endettement de l’État devient alors un sujet de préoccupation majeur.
La guerre franco-prussienne de 1870 est coûteuse pour les finances publiques. Non seulement elle entraîne des dépenses militaires considérables, mais la défaite impose également à la France de payer des réparations massives à la Prusse, pour un montant de 5 milliards de francs or.
Au cours de la Troisième République (1870-1940), la gestion des finances publiques est marquée par plusieurs crises majeures : la défaite contre la Prusse, la Première Guerre mondiale et la grande crise de 1929. Les difficultés budgétaires deviennent récurrentes. Après le traité de Francfort (1871), outre les réparations de guerre, la France perd l’Alsace-Lorraine, une région industrielle clé. Pour payer les réparations, des emprunts sont contractés. La France réussit néanmoins à rembourser plus rapidement que prévu, grâce à la mobilisation des investisseurs, ce qui permet le départ des troupes d’occupation. Entre 1885 et 1914, les finances publiques retrouvent un équilibre relatif, bien que la croissance économique soit plus faible en France qu’au Royaume-Uni ou en Allemagne. Cette période voit également l’essor des grandes banques françaises, comme le Crédit Lyonnais et la Société Générale, qui financent les investissements publics et privés. En 1914, juste avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, la Troisième République introduit l’impôt sur le revenu, une mesure longtemps débattue. Cet impôt, relativement modeste à ses débuts, marque un changement significatif dans la fiscalité française, passant d’une taxation principalement indirecte à une fiscalité plus progressive.
Par son ampleur et sa durée, la Première Guerre mondiale entraîne une explosion des déficits publics et des dépenses. En 1918, les dépenses publiques dépassent 50 % du PIB, contre seulement 10 % avant la guerre. L’État finance ces dépenses par des emprunts massifs et une inflation galopante. La dette passe de 32 à 240 milliards de francs entre 1914 et 1920. Pendant la guerre, l’État a recours à la création monétaire, favorisant une inflation qui érode le pouvoir d’achat des ménages. Après la guerre, l’État doit financer la reconstruction d’une grande partie du nord-est de la France. Les réparations allemandes, pourtant promises, se révèlent difficiles à recouvrer. Le pays fait face à des difficultés budgétaires et monétaires chroniques, contraignant les gouvernements à dévaluer la monnaie et à adopter des plans d’assainissement budgétaire. La crise de 1929 frappe la France à partir de 1931. Le déficit public augmente rapidement, passant de 1 % à 5 % du PIB entre 1929 et 1934. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, en 1939, le déficit atteint près de 6 % du PIB.
La Seconde Guerre mondiale entraîne une nouvelle dégradation des finances publiques. La défaite et l’occupation allemande provoquent l’effondrement de l’économie, des destructions massives d’infrastructures et d’usines, ainsi que le paiement d’indemnités et de frais d’occupation. En 1944, le débarquement des Alliés permet à la France de retrouver son indépendance mais entraîne des destructions considérables (logements, infrastructures, usines). La production industrielle est réduite de plus de 40 % par rapport à 1938. En 1945, le déficit public dépasse 20 % du PIB et la dette atteint 150 % du PIB. Une partie de cette dette sera effacée par l’inflation des années 1945-1948.
Les premières années de la IVe République sont marquées par des dépenses publiques élevées, principalement consacrées à la reconstruction des infrastructures, de l’industrie et de l’agriculture détruites par la guerre. Le Plan Monnet (1947-1952) joue un rôle central dans cette reconstruction. La France bénéficie également de l’aide du Plan Marshall, recevant environ 2,5 milliards de dollars des États-Unis. Cette aide permet de financer une partie des dépenses, mais ne couvre pas l’ensemble des besoins, et l’État doit recourir à des emprunts pour compléter le financement. Les guerres liées à la décolonisation, notamment en Indochine et en Algérie, alourdissent les budgets, qui restent déficitaires. La dette publique demeure élevée, oscillant entre 80 % et 90 % du PIB. Sans une croissance économique forte, de l’ordre de 5 % par an, la situation des finances publiques aurait été encore plus difficile. A partir de 1944, la montée en puissance des dépenses sociales s’accélère avec la création de la Sécurité sociale. L’essor des prestations sociales entraine la hausse, entre 1944 et 1958, des prélèvements obligatoires qui passe de 20 % à 28 % du PIB.
L’arrivée du général de Gaulle en 1958 et l’instauration de la Ve République se traduisent par un plan d’assainissement des finances publiques. De 1959 à 1967, la France enregistre des excédents budgétaires. Durant cette période, elle met fin aux demandes d’aides américaines. Grâce à la forte croissance économique, la dette publique est rapidement réduite, atteignant 15 % du PIB dans les années 1960. Cependant, le premier choc pétrolier de 1973 provoque une rupture dans la gestion des finances publiques. À partir de 1973, les finances publiques deviennent systématiquement déficitaires. Sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, le déficit public moyen avoisine 1 % du PIB. Il augmente sous les deux septennats de François Mitterrand, et la dette publique passe de 21 % à 57 % du PIB entre 1981 et 1995. La mise en œuvre de l’euro s’accompagne d’une relative maîtrise des finances publiques en France. Cependant, la dette publique continue d’augmenter pendant les deux mandats de Jacques Chirac. Elle atteint 65 % du PIB en 2007. La crise financière de 2008-2009 provoque une forte augmentation de cette dette, qui dépasse 91 % du PIB en 2012. Sous la présidence de François Hollande, elle continue d’augmenter de manière plus modérée, pour atteindre 98 % du PIB en 2017.
Les événements récents, tels que la crise des Gilets Jaunes, la pandémie de Covid-19, et la guerre en Ukraine, ont entraîné une dégradation significative des finances publiques. Le déficit public s’élève à 9 % du PIB en 2020, principalement en raison des mesures de soutien aux entreprises et aux ménages pendant la pandémie. En 2023, il atteint 5,5 % du PIB. Le gouvernement a annoncé que pour 2024, le déficit devrait dépasser 6 % du PIB, ce qui constitue un record en dehors des périodes de crise ou de guerre. Par ailleurs, la dette publique française atteint désormais 112 % du PIB en 2024. Le taux des prélèvements obligatoires dépasse 45 % du PIB, tandis que les dépenses publiques représentent environ 56 % du PIB.
L’évolution des finances publiques en France témoigne d’un équilibre toujours fragile entre croissance économique, contraintes budgétaires et pressions sociales. Depuis plus de 700 ans, la question de la maîtrise des comptes publics constitue une véritable antienne. En 2024, la France doit opérer un assainissement de ses comptes tout en étant confrontée à une série de défis : vieillissement démographique, transition écologique, menaces géopolitiques.
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