Marché de l’énergie, la marché vers la sécurisation

08/04/2011, classé dans

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Depuis 1973, le PIB mondial a été multiplié par plus de 3 quand la consommation énergétique a été multipliée par deux ce qui traduit une efficience économique plus forte par rapport à la tendance précédente. Le monde a consommé 12 300 milliards de tonnes équivalent pétrole en 2008 contre 6000 en 1973.

Avec une croissance de l’économie mondiale de plus de 3 %, cette consommation a toutes les chances ou tous les risques de s’accroître.

  1. I. La sécurité énergétique est avec l’accès à l’eau les deux grands défis des prochaines années

L’économie mondiale a globalement bénéficié d’une énergie peu couteuse et relativement accessible sur ces dernières décennies. Il pourrait en être autrement dans les prochaines années.

Tout notre modèle de développement s’est construit autour de l’utilisation de sources ou de ressources énergétiques abondantes.

Les crises de 1973 et de 1979 ont été des alertes qui ont donné lieu à une prise de conscience imparfaite. Aujourd’hui, la multiplication des signaux rouges exige une large remise à plat de nos politiques énergétiques.

La phrase du poète Paul Valéry « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » est toujours et encore plus d’actualité. Longtemps, nous avons cru que l’humanité pouvait être rayée de la carte par la montée aux extrêmes dans le cadre d’un conflit nucléaire entre grandes puissances ; aujourd’hui, nous prenons conscience que nous sommes mortels du fait de notre vulnérabilité face aux évènements géologiques, climatiques voire économiques…

  1. La sécurité énergétique recouvre plusieurs aspects qui sont interdépendants

Quatre grands facteurs pesant sur cette sécurité peuvent être dégagés.

  • Facteur environnemental et géologique : le Japon avec le tremblement de terre et le Tsunami, les Etats-Unis avec les ouragans Katrina, le réchauffement climatique, les matières fossiles principales ressources énergétiques et principales causes de déséquilibre climatique/ épuisement relatif des principales sources d’énergie (problématique du retour sur investissement)
  • Facteur politique : crise internationale comme en 1973 ou crise au sein d’un ou plusieurs Etats producteurs en 1979 ou comme aujourd’hui (la production libyenne est passée de 1,58 million de barils à 320 000 barils/jour du mois de janvier au mois de mars 2011
  • Facteur économique lié à une demande qui augmente plus vite que l’offre et au développement des pays dits émergents. Aujourd’hui, la production de pétrole est de 87 millions de barils/jour et la demande pourrait être de 120 millions de barils/jour en 2030. Avant les années 2000, la demande en énergie se cantonnait à l’Amérique du Nord, au Japon et à l’Europe. Aujourd’hui, la demande est multiple : l’Occident mais aussi l’Amérique Latine, l’Asie avec notamment la Chine et l’Inde
  • Facteur technique et innovation : facteur technique avec accident  mais aussi innovation (amélioration de l’efficience énergétique, découvertes de nouveaux gisements, utilisation de nouvelles technologies : le gaz des schistes bitumineux, nouvelles énergie, stockage et transport). Les Etats-Unis sont devenus le premier producteur de gaz du fait des progrès accomplis en matière d’exploitation des gaz de schiste

Il faut ajouter un autre facteur qui est le facteur de marché et de la bulle spéculative.

Dans toutes les périodes de transition, il y la constitution de bulles spéculatives liées à une asymétrie de l’information et à l’immixtion de l’irrationnel dans le comportement des acteurs. Cette spéculation se nourrit et nourrit la financiarisation du marché de l’énergie.

Nous sommes aux croisements de nombreux chemins et de ce fait :

  • Une volatilité accrue
  • Un marché plus opaque et sans visibilité pour les investisseurs

Compte tenu des facteurs d’incertitude, nous sommes à la recherche de toutes les sécurités possibles mais aussi en proie d’une grande myopie.

Sécurité et réduction de la volatilité sont liées :

Les fortes variations des cours de l’énergie sont nuisibles pour les producteurs et les consommateurs :

  • Conséquences néfastes pour la croissance
  • Menaces inflationnistes pour les pays producteurs et de déflation pour les pays consommateurs
  • Impossibilité de réaliser des investissements dans le domaine de l’énergie faute de visibilité

Nous avons tous pu constater le caractère irrationnel des évolutions passées du cours du pétrole :

11 juillet 2007 : 58,87 dollars le baril

11 juillet 2008 : 147 dollars le baril

En décembre 2007, le baril était tombé à 32 dollars.

  1. l’indispensable recherche d’une sécurisation ne signifie pas le repli sur soi

Economie mondiale rime avec interdépendance.

Le tremblement de terre au Japon impacte tout à la fois le prix du pétrole, de l’uranium et perturbe la production de nombreux secteurs dans tous les pays (automobile du fait de la rupture de pièces détachées, informatique…).

Ce qui compte, c’est l’existence de plans B ou C

L’énergie a toujours été un enjeu national

La France, pays faiblement doté en matières premières, en fournit la meilleure preuve. Depuis la seconde guerre mondiale, quel que soit le pouvoir en place, il y a eu une volonté de maîtriser le secteur énergétique : nationalisation des mines de charbon, création d’une compagnie pétrolière par l’Etat, Elf, mise en place de filière nucléaire. La France est aujourd’hui indépendante à 50 % grâce à une politique dirigiste…

Ce qui est vrai pour la France, l’est également pour les autres pays européens, la Chine ou les Etats-Unis.

Ainsi, très récemment, le 30 mars dernier, Barack Obama a fixé un objectif de réduction d’un tiers des importations de pétrole d’ici 2035 pour les Etats-Unis par rapport au niveau actuel de 11,7 millions de barils/jour importés au nom de l’indépendance et de la sécurité énergétique ».

Il faut en terminer avec l’angoisse de la dépendance par rapport aux importations.

L’Union européenne importe 50 % de son énergie consommée ; en 2030, ce sera 70 %. Ce n’est pas en soi un problème. Il faut simplement éviter la dépendance à un type d’énergie et éviter d’être face à un seul fournisseur.

La volonté de chercher par tous les moyens l’indépendance énergétique serait contreproductive, coûteuse et nuisible pour l’environnement.

Les biocarburants sont chers et sources de pollution (agricoles).

La production d’énergie domestique n’est pas à l’abri de défaillance : raffineries du Texas et de Louisiane après les passages des ouragans Katrina et Rita ; l’énergie nucléaire au Japon…

  1. II. DE LA SECURISATION PASSIVE A LA SECURISATION DYNAMIQUE DU MARCHE DE L’ENERGIE

Recherche d’une sécurisation

L’énergie étant au cœur du processus économique devient une ressource rare et fragile. La recherche de la sécurité d’approvisionnement devient une priorité.

  1. Depuis 50 ans, l’énergie est devenue un élément clef de la coordination et de la coopération internationale

Les fondements de l’Union européenne sont énergétiques. La création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier en 1951 repose sur l’idée de mutualiser l’énergie dont disposaient l’Allemagne, le Benelux, la France et l’Italie.

Après le premier choc pétrolier, il y deux initiatives qui ont été prises par les pays consommateurs afin de réguler les marchés et défendre leurs intérêts.

Dans le cadre de l’OCDE avec l’Agence International de l’Energie : création de réserves en pétrole pour faire face à une rupture dans l’approvisionnement ou de tensions excessives.

L’Europe a également mis en œuvre une politique de gestion des stocks permettant aux pays membres de faire face à des ruptures.

Les faiblesses des mécanismes de régulation internationale

Certainement en raison de son importance et des rapports de force issus du passé, la régulation du marché de l’énergie demeure à construire.

L’Agence Internationale de l’Energie n’est pas une réelle organisation internationale de l’énergie car elle est une émanation de l’OCDE et n’intègre ni les nouveaux consommateurs que sont la Chine ou l’Inde, ni les pays producteurs.

L’OPEP défend, à juste titre, les intérêts de ses membres

Ni le G8 ou le G 20 ne jouent pour le moment un rôle clef.

La Charte Européenne de l’Energie dont la Russie s’est retirée impose des normes bien souvent contreproductives pour les pays producteurs et de ce fait à terme pour les pays consommateurs.

  1. pour une sécurisation dynamique du marché

Une nouvelle page s’est tournée mais nous avons du mal à prendre en compte toute la portée de l’évènement

  • Fin de la guerre froide (il y a déjà 20 ans mais en avons-nous tiré toutes les conséquences ?)
  • Monde multipolaire
  • Émergence de nouvelles puissances économiques
  • Épuisement de certaines énergies
  • Risques technologiques et problèmes des émissions de CO2

L’opposition producteurs/consommateurs a vécu.

De plus en plus, les consommateurs seront producteurs et inversement.

Jusqu’à maintenant, les intérêts étaient divergents. Ils seront de plus en plus convergents.

Les pays producteurs sont censés gérer une rente et peuvent avoir intérêt à ne pas exploiter dans le temps leurs gisements afin de bénéficier des éventuelles augmentations de tarif. Il peut en résulter un sous-investissement et des tensions.

La question environnementale et la révolution technologique à venir (énergies renouvelables décarbonées…) conduit à des partenariats entre producteurs et consommateurs.

Les producteurs ont besoin de visibilité pour exploiter au mieux leurs gisements. Les pays consommateurs ont intérêt que les pays producteurs investissent pour accroître ou reconstituer les réserves énergétiques.

Les consommateurs comme les producteurs doivent éviter les ruptures d’approvisionnement et ce fait ont tout intérêt à multiplier les voies de transport du gaz ou du pétrole.

La réduction des émissions des gaz à effet de serre doit se faire de manière transparente.

La création d’une grande organisation de l’énergie sur le modèle de l’OMC ou du FMI ne paraît pas possible à court terme.

Il faut privilégier les coopérations régionales et l’élaboration de normes stratégiques.

Les nouvelles routes de la politique énergétique

Comment lutter contre le caractère volatile des prix ou comment redonner de la fluidité.

  • Coopération pour mieux exploiter les ressources énergétiques
  • Coopération technologique sur les émissions de CO2, sur les énergies renouvelables
  • Coopération afin d’améliorer l’efficacité énergétique
  • Coopération sur les réseaux et l’interconnexion des réseaux

Les coopérations doivent d’organiser en premier au niveau régional, par exemple à l’échelle du continent européen.

La Russie est aujourd’hui le premier producteur pétrolier avec 13 % de la production mondiale et le second exportateur.

Dans les 10 premiers pays importateurs de pétrole, cinq sont membres de l’Union européenne.

La Russie est le deuxième producteur mondial de gaz avec 20 % de la production totale et est le premier exportateur. De même, six pays européens figurent parmi les 10 premiers importateurs.

C’est une chance d’avoir au sein du Continent un grand producteur dont les intérêts sont convergents avec ceux des pays de l’Union européenne.

Il y a eu trop de réserves et d’inutiles suspicions de part et d’autres. En vertu de quoi imposer aux relations euro-russes des règles communautaires que nous ne sommes pas capables de respecter.

Le marché intérieur européen de l’énergie reste à construire et la libre concurrence reste encore une illusion. Certes, la distribution est séparée de la production mais c’est récent et dans bien des pays encore assez relatifs… Comment l’imposer à la Russie qui n’est pas membre de l’Union et qui s’étend sur des milliers de kilomètres ?

La proximité est un atout pour l’Europe.

Le niveau de développement de la Russie en est un autre. Il est plus facile de nouer un partenariat avec des Etats, des entreprises ayant un stade de développement équivalent.

Nous avons tout intérêt à mettre en commun nos énergies, nos forces, nos moyens.

A ce titre, il faut se féliciter de la signature au début du mois de mars du partenariat Total/Novatek pour l’exploitation du gisement de gaz de South Tambey. Ce partenariat capitalistique démontre la volonté des uns et des autres de travailler ensemble et non les uns à côté des autres.

Nous avons tout intérêt à développer les réseaux en Europe : gaz et électricité et nous devons travailler avec les Russes à étendre leur réseau vers l’Est. En effet, il est légitime que la Russie ne soit pas dépendante que de l’Europe en termes de demande de gaz. La diversification doit jouer pour le consommateur et le producteur.

De même, il n’est pas illégitime que la Chine essaie de sécuriser son approvisionnement énergétique. Simplement, plus de transparence serait souhaitable. Si la Chine investit en Afrique pour l’exploitation de nouveaux gisements, le marché est gagnant.

Conclusion :

  • Davantage de coopération
  • Davantage d’investissement ; le marché de l’énergie paie un sous-investissement chronique plus que d’un réel problème de pénurie de l’offre
  • Davantage de transparence de la part de tous les acteurs et au niveau des marchés financiers
  • Davantage de réseaux et moins d’ingérence sur un marché qui restera dicté par les intérêts nationaux

S’inspirer des méthodes utilisées pour les banques et pour les assurances à travers les accords de Bâle (1, 2,3) et Solvency (1,2)

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