Jeunes à la recherche d’une authenticité positive

09/10/2021, classé dans

La crise sanitaire a donné lieu à un retour sur le devant de la scène du conflit des générations. Frédéric Dabi, le directeur général de l’IFOP, dans son dernier ouvrage, « La fracture », souligne que la jeunesse est à l’image de la société française fragmentée, « archipélisée » pour reprendre la formule de Jérôme Fourquet. Après les générations « salut les copains », « hippies », « sida », « post mur de Berlin », une génération « covid » prendrait forme. Dans une époque marquée par les notions de « victime » et de « préjudice », elle s’inscrirait en opposition aux précédentes. Les jeunes de 2021, ou du moins certains d’entre eux, considèrent qu’ils ont été sacrifiés afin de préserver la santé des personnes plus âgées. Ce jugement est partagé par plus des deux tiers d’entre eux. (étude IFOP de février 2021). 70 % estiment avoir été accusés injustement d’être responsables de la reprise de l’épidémie. Dans le même temps, ils estiment les « boomers » responsables de la détérioration de l’environnement et de la mise en danger du système de protection sociale en raison de l’accumulation des déficits. 

Pessimisme sur l’avenir de la société et de la France

Au moment où la situation de l’emploi s’améliore à grande vitesse, où les jeunes diplômés sont sollicités par de nombreuses entreprises, les enquêtes de l’IFOP soulignent un pessimisme important chez les moins de 25 ans qui tranche avec l’optimisme qui était de mise chez leurs aînés quand ils avaient le même âge. En 2021,16 % des jeunes se déclarent « pas heureux » contre 2 % en 1988. Seuls 19 % indiquent être très heureux quand ils étaient 46 % en 1999.

88 % des 18/30 ans affirment qu’ils devront payer durant de très nombreuses années la dette « covid ». Ils estiment à 87 % qu’ils sont lourdement affectés dans leur vie sociale et affective par cette crise. 83 % considèrent que les étudiants vivent dans un état de détresse sans précédent. 74 % sont favorables à un revenu minimum jeune. 53 % des jeunes affirment que ce n’est pas une chance de vivre aujourd’hui en France. En 1999, ils n’étaient que 23 % à le penser. Pour 30 % des jeunes, vivre en France est une malchance. 64 % pensent que le pays est en déclin. Parmi les faiblesses du pays citées en premier par les moins de 30 ans, figurent le chômage, l’affaiblissement du niveau scolaire et la dette. L’époque serait maudite autant que le pays. Cette appréciation diffère entre les jeunes issus des catégories sociales les plus aisées et les autres. Des écarts atteignant 50 points entre les différentes catégories sont constatés.

Priorité au temps libre

Les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas les mêmes objectifs que ceux des générations précédentes. La priorité est donnée au temps libre qui passe avant l’argent ou la réussite professionnelle. La notion d’idéal a perdu de son importance. Seulement 42 % des jeunes considèrent que pour vivre heureux il en faut un contre 82 % en 1998. La notion de héros a beaucoup évolué. Ils se trouvent désormais essentiellement dans le cercle familial, essentiellement la mère, le père étant en perte de vitesse. Les figures du passé comme Ghandi, de Gaulle ou Nelson Mandela sont souvent cités. Parmi les personnalités contemporaines marquantes figure Barack Obama.

Une forte détresse personnelle

Un jeune sur cinq mentionne une perte d’emploi, un arrêt des études ou la fin d’un stage en lien avec la crise sanitaire. Le mal être semble s’être fortement accru. 83 % des jeunes interrogés par l’IFOP mentionnent se trouver dans une situation « jamais vue » en matière de souffrance morale. 58 % se déclarent dépressifs, 16 % indiquent prendre des anxiolytiques et 19 % ont mentionné avoir régulièrement des idées suicidaires. Les jeunes hommes et les jeunes issus des catégories sociales les plus modestes sont les plus fragilisés sur le plan moral. Les jeunes femmes sont de leur côté plus pessimistes que les hommes sur l’évolution de leur situation et celle du pays. 67 % des femmes de moins de 30 ans indiquent « avoir peur de l’avenir » contre 56 % des hommes de cette tranche d’âge. Même les jeunes aisés partagent cette peur (50 % de ceux dont les parents sont cadres supérieurs). Ce pessimisme est conforté par l’idée que les jeunes ont peu de prise sur le cours de la société. En février 2021, 34 % d’entre eux pensent avoir une influence sur les destinées de la France, contre 59 % en 1999. Pour retrouver un taux plus bas, il faut remonter en 1957 (20 %). En 2021, 30 % des jeunes affirment n’avoir aucune influence ou être à la merci des évènements. Cette appréciation doit être relativisée. En effet, les jeunes sont moins pessimistes sur leur avenir personnel que sur celui de la société. Ainsi, deux tiers d’entre eux pensent qu’ils vivront mieux demain qu’aujourd’hui dont un quart beaucoup mieux. Ces taux sont nettement supérieurs à ceux de l’ensemble de la population. Seulement 26 % des Français anticipent une meilleure vie dans les dix prochaines années. 92 % des jeunes estiment qu’ils ont beaucoup de choses à accomplir et 91 % pensent que la vie a beaucoup à leur offrir. 62 % des jeunes de moins de 25 ans ont un état d’esprit positif face à la crise sanitaire, soit dix points de plus que les plus de 35 ans. 88 % des jeunes pensent pouvoir s’accomplir dans leur vie professionnelle. 68 % pensent devenir salarié d’une entreprise et 40 % pensent rapidement monter son entreprise.

La famille avant tout

Si en 1957, 16 % des jeunes pensaient être différents de leurs aînés, en 2021, ce taux est de 89 %. Ils sont 85 % à penser qu’ils n’ont rien à voir avec les jeunes d’hier ou d’avant-hier. Il y a l’idée qu’ils partagent en commun des valeurs que les autres ne comprennent pas. Les moins de 30 ans placent parmi leurs mots préférés « la famille », « le mérite », « le partage » et « la solidarité » quand l’ensemble des Français retient les mots suivants : « la  France », « la responsabilité », « le partage » et « la solidarité ». Les jeunes réhabilitent certaines valeurs traditionnelles comme la famille, la liberté et le travail. Parmi les cinquante mots proposés par l’IFOP, la famille est plébiscitée par 92 % des jeunes et est considérée comme une voie de passage obligée pour avoir une vie réussie. Ce choix est en rupture complet avec les générations du baby-boom. La famille si elle peut être un lieu de tensions est avant tout perçue comme un havre. 82 % des jeunes estiment que le travail est une valeur positive. Pour 88 et 86 % des jeunes les mots respectifs de mérite et d’effort sont connotés positivement. Ce jugement ne rompt pas avec une tendance qui s’affirme depuis les années 1980. Les jeunes ont une appréciation moins positive de l’assistanat que leurs ainés même s’ils peuvent louer par ailleurs le mot de solidarité. 60 % des moins de 30 ans considèrent que les chômeurs pourraient s’ils le voulaient un travail (53 % pour l’ensemble de la population). Les propos du Président de la République «traverser la rue pour trouver un travail » trouve un écho favorable chez les jeunes.

Le retour en force du libéralisme

L’État ne fait pas rêver les jeunes. 48 % ont a priori négatif sur l’État et ses politiques quand ce taux est de 44 % pour l’ensemble de la population. Les jeunes qui critiquent le plus l’État se trouvent parmi les catégories populaires et parmi les lycéens. L’État est accusé de ne pas les avoir protégés, de leur avoir volé leurs meilleures années et d’avoir été incompétent dans la lutte contre le virus. 67 % des 18/30 ans estiment, en 2021, que l’État intervient trop dans la vie des Français, contre 55 % en 2011. Le libéralisme retrouve aux yeux des jeunes des vertus qui n’étaient plus citées depuis des années. Pour 60 % des jeunes, ce mot est connoté positivement (55 % pour l’ensemble de la population). 80 % des jeunes ont une vision positive de l’entreprise. Ce taux est de 78 % chez les sympathisants de gauche et de 92 % à droite. D’année en année, la valeur « entreprise » est en hausse. Le dernier accès négatif anti-entreprise date de la visite du Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin à l’université du MEDEF en 2003, visite qui avait entraîné un fort repli de sa cote de popularité. Depuis, les Premier Ministres s’y rendent sans que cela n’ait d’effet sur les sondages. Même le terme « profit » est apprécié positivement par les jeunes (58 %). L’économie de marché reçoit l’assentiment de 60 % des moins de 30 ans. 64 % d’entre eux souhaitent que l’État accorde plus de libertés aux chefs d’entreprise. Si les startup sont connotées positivement par 79 % des jeunes, les GAFA le sont négativement par 62 %. L’auto-entrepreneuriat est plébiscité par 83 % des jeunes. La création d’entreprises et la PME sont des valeurs positives quand la multinationale est suspecte.

Les jeunes à l’image des autres catégories de la population française ne sont pas monolithiques. Leurs opinions sont également moins établies que dans le passé. Ils peuvent être tout à la fois très engagés sur le terrain du développement durable, les actions de solidarité et se révéler conservateurs au niveau des valeurs, voire en ce qui concerne l’immigration. Leur défiance à l’encontre des institutions ne leur est pas spécifique, elle est simplement amplifiée. Ils estiment que les aînés, par facilité, par résignation, ne veulent pas prendre en compte les grands défis de société. En revanche, ce jugement s’arrête aux portes de la famille. De même, les jeunes restent positifs en ce qui concerne leur destin. Ils minorent leur pouvoir d’influence tant au niveau des politiques nationales qu’au niveau des entreprises. Le télétravail qu’ils plébiscitent à une très large majorité s’impose au sein du milieu professionnel. Le concept d’horaire unique est en voie d’abandon pour des horaires à la carte. Les problèmes de recrutement dans la restauration ou l’hébergement sont en partie liés à cette question des horaires et du temps libre.  En quelques années, le code vestimentaire en entreprise, a profondément changé. Le port de la cravate, du costume est de moins en moins pratiqué. Les gouvernements tiennent de plus en plus compte de la génération « Greta Thunberg » en accélérant la transition énergétique. Les politiques s’adaptent, avec plus ou moins de bonheurs, aux nouveaux canaux d’expression publique que sont les réseaux sociaux en ayant recours non plus aux textes mais aux vidéos. Les grandes villes, avec le départ des familles et des retraités en périphérie ou dans des agglomérations de taille moyenne ou en bord de mer, se rajeunissent grâce au maintien, dans leur cœur, des universités. La génération dite sacrifiée est en proie de gagner une partie de son pari, celui de « changer le monde ».

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