D’un choc à l’autre….

16/10/2022, classé dans

En 1973, lors du premier choc pétrolier, les pouvoirs publics en France avaient décidé de faire supporter la hausse des cours de l’énergie essentiellement sur les entreprises. Ce choix perdura jusqu’en 1976 avec, comme conséquences, une dégradation de leurs marges et une perte de compétitivité de l’économie française. Il conduisit à une progression du chômage qui, dans les faits, s’était amorcée à la fin des années 1960. La concomitance du ralentissement de la croissance et de l’arrivée sur le marché du travail des premières générations du baby-boom fit entrer la France dans l’ère du chômage de masse. Lors du deuxième choc pétrolier, en 1979, les gouvernements décidèrent dans un premier temps d’épargner les consommateurs en augmentant le montant des prestations sociales, surtout après 1981, avant d’appliquer, dans un second temps, une politique dite de « désinflation compétitive » visant à rétablir les équilibres extérieurs de la France. Pour le troisième choc énergétique, les gouvernements entendent atténuer les effets sur les consommateurs tout en tentant de ne pas dégrader la rentabilité des entreprises. Malgré tout, les entreprises supportent des augmentations massives des prix de  l’énergie et des biens intermédiaires. Dans un climat social complexe, les revendications salariales se multiplient. Le risque est de basculer assez rapidement d’une inflation importée à une inflation autoalimentée. Si cette transformation venait à se réaliser, la Banque centrale européenne pourrait être contrainte de relever les taux de manière plus rapide et plus forte donnant corps à une sévère récession en 2023. Pour le moment, les taux directeurs demeurent faibles au regard des taux d’inflation. Ils s’établissent à 1,5 % quand, au début des années 1980, ils dépassaient les 8 % pour un taux d’inflation similaire autour de 10 %. Les marges de manœuvre des banques centrales sont bien moindres en 2022 qu’en 1973 ou 1980. Elles doivent prendre en compte l’épineuse question de la soutenabilité des dettes publiques et l’état des opinions échaudées par l’accumulation rapide de crises toutes qualifiées de centennales. Si l’augmentation du prix de l’essence est relativement modérée par rapport à celle subie en 1973 ou en 1980, celle concernant le gaz et l’électricité dont le poids dans la consommation énergétique s’est fortement accru en cinquante ans, est importante. Cette hausse est absorbée à plus de 90 % par l’État pour les ménages. L’Etat prend à sa charge une grande partie de cette augmentation du moins pour les particuliers, les entreprises peuvent supporter des hausses de plus de 80 %.

À la différence des deux premiers chocs, celui de 2022 intervient au sein d’une économie mondialisée qui ne ressemble plus à celle de 1973 ou de 1979. À l’époque, le Rideau de fer existait encore et la Chine ne pesait que 2 % du PIB mondial, contre près de 19 % aujourd’hui. Les interdépendances croisées avec l’éclatement des chaînes de valeurs rendent plus délicat l’engagement de politiques désinflationnistes pays par pays. Les augmentations des taux directeurs décidées en même temps ou presque par les banques centrales aux quatre coins de la planète pourraient avoir des effets cumulés qui n’ont pas été évalués pour le moment. Dans des sociétés fragmentées, le consensus semble de plus en plus difficile à réaliser. Face à la guerre en Ukraine, il existe mais est d’une rare fragilité. Si pour le moment, les populations acceptent le principe du blocus contre la Russie, elles n’entendent pas en supporter les conséquences. Les menaces de spirales inflationnistes ne sont pas intégrées car elles sont abstraites. La dégradation de la situation de l’emploi en cas de récession pourrait-elle changer la donne ? Depuis deux ans, la pénurie de main-d’œuvre a donné aux salariés un pouvoir sur les salaires qu’ils n’avaient plus eu depuis quarante ans. Leur regard sur le travail a également évolué, entre ceux qui souhaitent l’organiser à leur convenance à distance ou en présentiel et ceux qui, exposés à d’importants facteurs de pénibilité. Le contexte de 2022 diffère également de celui de 1973 et de 1980 par la présence de deux défis majeurs : le vieillissement de la population et la transition énergétique. L’un et l’autre imposent de revoir les modes de production et la réalisation d’importants investissements. Ils nécessitent des avancées technologiques débouchant sur de réels gains de productivité pour éviter une attrition économique qui ne ferait qu’accentuer les tensions sociales.  

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